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disparu par les guerres et les révolutions ; un ordre nouveau n’est pas arrivé à se fixer, et c’est ce qui fait que tout reste à la merci de l’imprévu, des incidens qui peuvent éclater à l’Orient ou à l’Occident, des fantaisies d’un souverain jeune, ardent, impatient de remplir la scène où il est si récemment entré non sans quelque fracas. Il est certain que depuis son avènement au trône, depuis deux ans qu’il règne à Berlin, l’empereur Guillaume II a résolu le problème d’exciter les curiosités et de donner du travail aux nouvellistes. Il a réussi à occuper le monde tantôt par ses coups de théâtre de gouvernement intérieur et le congé si lestement donné au premier chancelier allemand, qui n’est pas revenu encore de sa surprise, — tantôt par ses velléités de réformateur socialiste, ou bien par ses voyages toujours nouveaux, toujours retentissans. Plus que jamais encore aujourd’hui il vient d’occuper l’Europe de ces voyages qui sont presque le seul événement en ces temps de calme, qu’on ne peut voir se succéder sans se demander ce qu’ils signifient, sans se dire qu’un souverain, eût-il toutes les impatiences de la jeunesse, ne peut pourtant pas tant s’agiter pour jouer l’éternelle comédie de beaucoup de bruit pour rien. Il n’y a que quelques semaines, Guillaume II était à l’île de Wight, auprès de la reine Victoria, qui vient de mettre un fleuron de plus à la couronne de son petit-fils, par la cession d’Héligoland, en échange du protectorat de Zanzibar. Pas plus tard qu’hier, il a fait son nouveau voyage, un voyage de toute façon commenté et interprété d’avance, en Russie, pour revoir le tsar et assister aux manœuvres de l’armée russe. C’était une de ces fêtes soldatesques comme on en célèbre aujourd’hui entre souverains qui veulent la paix ! Qu’en est-il réellement ?

Eh bien ! soit ; l’empereur d’Allemagne, qui aime à voyager sur mer comme sur terre, est allé sur son navire aborder aux côtes d’Esthonie, où il a été reçu par le tsar, par la tsarine qui n’était pas loin, avec toutes les apparences de la cordialité. Tout s’est passé selon les règles et selon l’étiquette. L’empereur Guillaume n’a pas manqué de se revêtir de l’uniforme du régiment russe de Wiborg dont il est le colonel, et du cordon de Saint-André ; l’empereur Alexandre III, à son tour, s’est revêtu de l’uniforme de son régiment de la garde prussienne et de l’aigle noir. Les deux souverains sont allés ensemble à Narva, à Yambourg, sur le terrain des manœuvres ; ils ont suivi les savantes opérations de l’armée russe, auxquelles le tsar avait invité particulièrement un officier français, M. le général de Boisdeffre, un ancien aide-de-camp de Chanzy. Le nouveau chancelier allemand, M. de Caprivi, était aussi du cortège, accompagné d’une partie de sa chancellerie, comme pour donner au voyage une importance diplomatique. M. de Caprivi a conféré avec le tsar, il a conféré avec le chancelier russe, M. de Giers, il est même allé jusqu’à Saint-Pétersbourg. Il y a eu enfin pendant ces