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hommes qui ont représenté ces régimes sur la scène publique, se sont succédé ; ils ont disparu tour à tour pour ne plus reparaître après quelques années que dans les livres, dans les mémoires, dans les récits de ceux qui ont eu un rôle par l’action ou par le conseil. Il y a déjà vingt ans bien sonnés que le second empire, à pareille date, a été emporté dans une tempête de feu et de fer. Il avait mal commencé, il a mal fini : il n’a pas laissé les mêmes souvenirs et les mêmes légendes que le premier empire ; il semble déjà loin ! Il a pourtant vécu, il a eu sa durée, son caractère, ses couleurs voyantes, ses péripéties et ses crises. Si cette ère d’ostentation, une des plus décevantes de l’histoire, qui disparaît derrière un amas d’événemens, pouvait être oubliée, les récens Mémoires de M. le baron Haussmann la rappelleraient à nos trop légers contemporains. Ces Mémoires d’un administrateur capable, un peu gonflé et d’ailleurs peu scrupuleux, font revivre d’une certaine manière cette ère impériale où l’auteur lui-même a fait une assez belle figure comme un des premiers dignitaires de l’État, comme l’instrument à la fois rude et souple d’un souverain, dont un de ses plus intimes familiers a pu dire : « Il ne sait pas ce qu’il veut, mais il le veut bien ! » M. Haussmann est bien en effet l’homme, ou si l’on veut un des hommes du temps. Il est resté le plus grand révolutionnaire de la voirie, le plus hardi et le plus prodigue remueur de pierres, de moellons et de millions, le complice, sinon l’inspirateur de Napoléon III, dans la reconstruction de Paris, le vrai roi de la cité sous le nom de préfet pendant plus de quinze ans. En racontant son histoire et ses œuvres, non sans une certaine emphase, il raconte un épisode de ce dernier empire dont il a été et dont il demeure un des représentans les plus caractéristiques.

Ce n’était point assurément un homme ordinaire, ni même ce qu’on pourrait appeler un personnage improvisé de la fortune politique ; c’était au contraire un homme de la carrière, comme on dit, qui avait passé par toutes les sous-préfectures. Ce n’était pas non plus un administrateur négligent ou léger. Il avait appris son métier, il le savait ; il avait le goût de l’autorité et de l’uniforme. Il ne doutait pas surtout de lui-même. Il a toujours été, à ce qu’il semble, pénétré de son mérite aussi bien que de l’importance de ses fonctions, alliant au besoin, d’ailleurs, l’agrément à une gravité un peu prétentieuse, ouvrant des chemins ou des écoles, en même temps qu’il recevait George Sand dans sa petite sous-préfecture de Nérac et qu’il aidait de ses gendarmes l’auteur de Valentine à reconquérir la jeune Solange retenue par ce Barbe-Bleue qui s’appelait M. Dudevant. Mettons que c’était le modèle des sous-préfets, puisqu’il le veut, qu’il eût même été le modèle des préfets de la monarchie de juillet, si cette monarchie eût vécu ; mais il est clair que ce sous-préfet de juillet n’a jamais eu un goût