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porter la bonne parole dans le Pas-de-Calais. M. le ministre de la marine va consacrer, par sa présence à Abbeville, la statue élevée, d’un accord unanime, à l’amiral Courbet. M. le ministre des travaux publics est partout, au nord et au sud, cherchant un chemin de fer à inaugurer. M. le ministre de l’intérieur visite en bonhomme ses propriétés de l’Aveyron, et, chemin faisant, il témoigne familièrement son intérêt aux ouvriers de la contrée, sans leur laisser ignorer qu’il n’entendrait pas raillerie si on prétendait renouveler les scènes sanglantes des grèves de Decazeville. M. le président du conseil, enfin, prend tranquillement les eaux à Aix-les-Bains avant de se rendre aux grandes manœuvres du nord, que M. le général Billot va diriger. Le monde officiel est partout, excepté à Paris. Ce n’est pas un mal de voyager : les voyages forment sans doute les ministres, comme la jeunesse. Ce n’est point un mal non plus d’aller inaugurer un monument, surtout quand ce monument est destiné à perpétuer la mémoire d’un homme qui a été un chef stoïque et glorieux, l’honneur de notre marine, qui, par l’éclat de ses actions comme par la dignité de sa mort, a mérité le viril et affectueux respect de la France. On ne pouvait, certes, mieux occuper un de ces jours de vacances.

Par une coïncidence étrange, au moment même où s’accomplissait cette sévère et réconfortante cérémonie de l’inauguration du monument de Courbet, un inconnu, sans doute pour réveiller la curiosité par ces temps d’oisiveté, s’est plu à divulguer le secret d’un des plus bruyans épisodes de notre récente histoire ; il a mis à nu ce qui s’est appelé le boulangisme. Voilà donc ce que c’était que cette popularité de hasard née un instant de l’émotion maladive et de la surprise d’un pays mécontent ! Voilà ce qu’il y avait dans ce héros d’aventure s’élevant par la faveur des radicaux, négociant avec les camps royalistes, visitant le prince Napoléon à Prangins, recevant l’argent de toutes mains, menant de front les intrigues d’ambition et les plaisirs ! Il n’y avait rien ; il n’y avait pas même une apparence d’idées, pas même la hardiesse d’un aventurier. Il s’est évadé au premier péril, à la première menace. Une cour de justice l’a condamné : ce sont ces bizarres révélations qui l’achèvent en le montrant dans sa frivolité vulgaire. Il s’évanouit dans sa nullité sous cette lumière accusatrice, — tandis qu’au même instant, l’autre, le héros d’Abbeville, monte avec sa gravité impassible devant l’opinion. Celui-là s’élève parce qu’il n’a été qu’un soldat intègre, ne demandant rien aux partis, subissant les disgrâces sans faire moins fidèlement son devoir, réparant par son habileté et sa fermeté d’âme les fautes que l’imprévoyance lui imposait, mourant en héros sur son navire au milieu de ses équipages émus et léguant sa généreuse mémoire à son pays. Voilà la différence entre ces deux hommes dont le hasard seul rapproche les noms ! La légende de