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l'offensent peu, beaucoup ou trop, on ne s'en soucie guère aujourd'hui.

Les jésuites avaient inquiété, ruiné quelquefois par leur concurrence les universités en France, en Espagne, en Portugal, en Bohème, à Louvain, à Avignon, à Cracovie et dans beaucoup d'autres lieux sans doute ; ils voulaient faire la besogne d'autrui ; qu'ils la fissent bien ou mal, ils n'en venaient pas moins, concurrens indiscrets, empiéter sur des droits acquis et sur des privilèges solennellement octroyés. La lutte dura longtemps. Uossuel écrivait, en l'année 1700 :

« L'Évangile nous apprend que les trésors célestes, tels que sont la prédication de la parole de Dieu et l'administration du sacrement de pénitence, doivent être mis entre des mains sûres et distribués à chacun selon sa propre vertu, secundum propriam virtutem ; de peur que, si la dispensation de ces grâces, qui font toute la richesse de l'Église, était commise indifféremment et sans connaissances à toutes sortes de sujets, elle n'échût, trop facilement et contre notre intention, au serviteur inutile qui ne saurait pas les faire valoir.

« C'est pour éviter cet inconvénient que plusieurs prélats avaient réglé, depuis quelques années, que les religieux qu'on enverrait travailler dans leurs diocèses n'y paraîtraient pas sans le témoignage non-seulement de leurs supérieurs, mais encore, et à plus forte raison, sans celui des évêques du lieu où ils auraient servi par rapport aux fonctions ecclésiastiques. Quoique le règlement soit très sage, quelques ordres religieux ne s'y sont pas soumis, pour des raisons que nous n'avons pas approuvées. Ces religieux rebelles, ce sont les jésuites. Dès l'année 1554, l'évèque de Paris, Eustache Dechamp, parlant des mêmes bulles sur lesquelles s'appuyaient les jésuites, les déclarait aliénées de raison ; elles ne devaient être ni tolérées ni reçues.

« Ils entreprennent, disait l'évèque, sur les curés à prêcher, dire confession et administrer les saints sacremens même pendant un interdit ; et la messe entendue chez eux dispense d'assister à celle de la paroisse. Il leur est donné licence, ajoute l'évèque, qui s'en indigne, de commettre, partout où leur général le voudra, lectures de haute théologie sans en avoir permission, chose très dangereuse en cette saison, et qui est contre les privilèges des universités, pour distraire les étudians des autres facultés.

« On voit, ajoutait-il, s'adressant à ces intrus, vos collèges remplis d'un nombre prodigieux d'étudians, une multitude de pénitens à vos pieds, la plupart des chaires occupées par vos orateurs, la presse même gémir sous la diversité de vos ouvrages. »