les rideaux étaient un peu tirés, et heureusement un frère, que le Père de Frétât avait amené avec lui, et qui était assis auprès du lit, ne s’était aperçu de rien. M. Perier alla aussitôt en divertir M. Pascal, qui était dans la chambre au-dessous de lui, et que les jésuites ne croyaient pas si proche d’eux. Mazarin goûta fort les premières lettres et ne faisait qu’en rire ; il aurait dit volontiers, comme le proconsul d’Achaïe aux accusateurs de saint Paul : « Je ne veux pas être juge de ces choses. » Les petites lettres, cependant, faisaient aux mazarinades une utile diversion ; le gouvernement ne voulait ni les permettre, ni les tolérer, ni les empêcher. Chacun joua son rôle. La Sorbonne obtenait des décisions sévères, les imprimeurs se cachaient, la police les cherchait mollement, et la poste, respectant le secret des correspondances, semait des exemplaires par milliers dans toutes les villes de la France.
On en imprima quelques-unes dans les caves du collège d’Harcourt, d’autres dans les moulins que la Seine faisait tourner entre le Pont-Neuf et le pont au Change. On travailla aussi dans des bateaux. La police ne découvrit rien.
Jamais on n’avait vu, jamais on n’a vu depuis polémique plus mordante, ironie plus fine, narration plus rapide et plus nette. Les amis de Port-Royal s’écriaient : C’est un chef-d’œuvre. Les adversaires, en tombant d’accord, disaient, comme Montaigne : Un chef-d’œuvre ne perd pas ses grâces en plaidant contre nous. Pascal lui-même écoutait volontiers et redisait les louanges.
« Vos deux lettres, se fait-il écrire par son prétendu correspondant, n’ont pas été pour moi seul. Tout le monde les voit, tout le monde les entend, tout le monde les croit. Elles ne sont pas seulement estimées par les théologiens, elles sont encore agréables aux gens du monde et intelligibles aux femmes mêmes. »
Le provincial joint à cette déclaration générale la copie d’une lettre écrite par un des messieurs de l’Académie, des plus illustres entre ces hommes tous illustres (on a cru que c’était Chapelain). Il y joint la lettre qu’une personne, qu’il ne marquera en aucune sorte, a écrite à une dame qui lui a fait tenir la première lettre. (Mme de Sablé, dit-on, à Gilberte Perier.)
« Je vous suis plus obligée que vous ne pouvez vous l’imaginer de la lettre que vous m’avez envoyée ; elle est tout à fait bien écrite. Elle narre sans narrer : elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées, elle raille finement ; elle instruit même ceux qui ne savent pas bien les choses ; elle redouble le plaisir de ceux qui les entendent. Elle est encore une excellente apologie, et, si l’on veut, une délicate et innocente censure. Et il y a tant d’art, tant d’esprit et tant de jugement en cette lettre, que je voudrais bien savoir qui l’a faite. »