Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honteux. Votre amour-propre est au désespoir quand, d’un côté, vous sentez au dedans de vous une jalousie si vive et si indigne, et quand, d’un autre côté, vous ne sentez que distraction, que sécheresse, qu’ennui, que dégoût pour Dieu. » Ursule fait effort pour vivre saintement ; elle y réussit. Mais la grâce lui manque ; le cygne de Cambrai aura peine à sauver son âme. On peut être vertueux et haïssable. Les hommes ne s’y trompent pas toujours. Dieu ne s’y trompe jamais.

L’écrit d’Arnauld fut déclaré téméraire, impie, blasphématoire, foudroyé d’anathème et hérétique ; l’auteur fut lui-même chassé de la Sorbonne et son nom effacé de la liste des docteurs. Arnauld avait des consolations. On l’a accusé d’une trop grande tendresse pour ses pénitentes : elles le lui rendaient. Quand, après sa condamnation, on le cherchait, sans doute pour l’enfermer à la Bastille, comme y fut enfermé Lemaistre de Sacy : « Voulez-vous, dit une dame de qualité aux satellites qui le cherchaient, que je vous dise où est caché M. Arnauld ? Il est bien caché. » Et, se touchant le cœur de la main : « Tenez, c’est là qu’il est caché, dit-elle ; prenez-le, si vous pouvez ! »

Après avoir écrit sa première Lettre dans la retraite de Port-Royal, Pascal, pour composer les suivantes, se cacha, sous le nom supposé de M. de Mons, dans une auberge de la rue des Poiriers, à l’enseigne du Roi David, vis-à-vis le collège des jésuites. C’est aujourd’hui la rue des Poirées, dont il reste plusieurs maisons réunissant la rue des Grès à la rue Soufflot.

M. Perier, son beau-frère, arrivant à Paris dans le même temps, alla se loger dans la même auberge, comme un homme de province, sans faire connaître qu’il était beau-frère du prétendu M. de Mons. Pendant que M. Perier demeurait en cet endroit, le Père de Frétât, jésuite, l’un de ses parens, vint lui rendre visite et lui dit qu’ayant l’honneur de lui appartenir, il était bien aise de l’avertir qu’on était persuadé dans la société que c’était M. Pascal, son beau-frère, lequel vivait dans la retraite, qui était l’auteur des petites lettres qui couraient dans Paris contre les jésuites, et qu’il devait le lui dire et lui conseiller de ne pas continuer, parce qu’il pourrait lui en arriver du chagrin. M. Perier le remercia et lui dit que cela était inutile et que M. Pascal lui répondrait qu’il ne pouvait pas les empêcher de l’en soupçonner, parce que, quand il leur dirait que ce n’était pas lui, ils ne le croiraient pas ; et qu’ainsi, s’ils s’imaginaient que cela était, il n’y avait point de remède. Le Père de Frétât se retira là-dessus, disant toujours qu’il était bon de l’avertir, et qu’il prît garde à lui. M. Perier fut fort soulagé quand il s’en alla, car il avait sur son lit une vingtaine d’exemplaires de la septième et huitième lettre qu’il y avait mis pour sécher. Il est vrai que