Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même… pauvre d’esprit non pas ! Si la charité n’est pas dans son cœur ; si, loin d’aimer cordialement son prochain, il le méprise comme lui-même ; si, tenant la joie pour une erreur, il s’afflige et gémit sur ceux qui se réjouissent, il dépasse la lettre sans atteindre l’esprit. La perfection lui est impossible. On peut mériter l’enfer faute de charité aussi bien que faute de justice. La grâce accordée à tous ceux qui la demandent est celle de bien faire ; celle de bien penser est surnaturelle.

Guillaume est gravement malade ; on perd tout espoir. Son neveu Pierre est son héritier : il se réjouit, en a honte, mais n’y peut rien. Le médecin ordonne une potion, dernière chance de salut. Pierre fait seller son meilleur cheval, court à la ville voisine, rapporte la potion, sauve la vie de son oncle et ne réussit pas à s’en consoler. Il a pu, sans cesser d’être un juste, caresser, dans le secret de son âme, la pensée de la fortune attendue, sourire aux projets qui remplissaient son esprit ; mais s’il hésite, s’il ralentit son allure, ce n’est pas la grâce qui lui manque, c’est la justice.

On entend le tocsin ! Jacques se précipite, trouve une maison en flammes, prend le commandement ; ingénieux et intrépide, héroïque même au moment critique, il prévient un désastre sans lui certain : on l’admire, on le vante, la reconnaissance est unanime.

Quelques accidens semblables accroîtraient sa popularité et serviraient ses ambitions ; il n’ose les espérer, mais il les désire, naturellement, se dit-il ; il aspire à risquer sa vie et voudrait bien, pour en avoir l’occasion, voir de nouveau celle des autres en danger. Jacques est, en outre, peintre, romancier et poète ; il revient charmé du spectacle qu’il a vu : un homme, devant lui, s’est tordu dans les flammes. Belle source d’inspiration ! La journée est bonne : il a déployé son énergie, fait preuve de courage, montré ses talens ; il s’est amusé.

Jacques n’est pas même un juste auquel la grâce a manqué. Le commandement d’aimer son prochain comme lui-même lui est impossible, il n’aime que lui. Il est de ceux que saint Paul appelle airains sonnans et cymbales retentissantes, Jansénius ne croit pas à son salut.

La mère supérieure vient de mourir. La sœur Ursule, intelligente et instruite, en toute occasion citée comme un modèle, se croit capable de gouverner ; elle brigue le premier rang. L’intrigue la fait échouer. Son heureuse rivale, Véronique, est incapable ; elle commet faute sur faute, manque de douceur, de charité et de prudence. Le cœur d’Ursule est ulcéré jusqu’au fond ; elle ne laisse paraître ni impatience ni tristesse. La joie de voir Véronique se damner la dédommage et la console. Fénelon est son directeur ; Ursule lui ouvre son cœur. « Cela est bien laid, lui dit-il, et bien