Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos voisins ont une production trois fois plus considérable que la nôtre. Mais si l’élevage du ver à soie est une opération avantageuse en cas de succès, il est soumis aux moindres variations de la température, et il ne peut être lucratif qu’à la condition d’avoir des graines (œufs de vers à soie) de première qualité à bon marché et la feuille de mûrier en abondance et sur place. Or, ces conditions économiques ne sont plus les nôtres.

Actuellement nos paysans du Gard, de l’Ardèche, de la Drôme et de Vaucluse achètent leurs graines 10 et 12 francs l’once. La feuille de mûrier leur revient fréquemment à 8, 10 et même 12 fr. le quintal, et huit quintaux sont nécessaires pour une once de graines. L’achat des matières premières, vers et nourriture, varie donc en moyenne de 60 à 80 francs. Le rendement moyen d’une once de graines étant actuellement en France de 34 kilogrammes de cocons, vendus de 3 fr. 50 à 4 francs le kilogramme, la recette s’établit entre 120 et 140 francs donnant un salaire de 40 à 60 francs pour quarante jours de travail, non compris les frais de local et de matériel. Il faut reconnaître que l’opération est des plus médiocres financièrement. Nous verrons plus loin qu’elle est conduite d’une manière désastreuse, et qu’avec des conditions climatologiques et économiques à peu près semblables, les Italiens obtiennent des résultats tout différens.

Nos sériciculteurs, qui se souviennent de l’ancienne prospérité de leur industrie et du prix considérable qu’atteignait alors le cocon français, sont convaincus que ces deux élémens sont inséparables. Ils ne veulent pas croire à une renaissance de l’élevage sans un relèvement du prix de la soie. Ils n’ont pas idée de ce que peut être la production intensive. Ils en sont restés à la formule : « Produire peu et vendre cher » et mettent tout leur espoir dans une augmentation du prix des cocons. Cette augmentation pourrait-elle se produire naturellement par un accroissement de la consommation ou par un affaiblissement des productions concurrentes ? Il n’y a pas à l’espérer. La soie tend constamment à diminuer de valeur par l’abondance de plus en plus grande des éducations et plus encore par l’emploi des tissus mélangés et des soies sauvages. Tout au plus peut-on affirmer qu’elle se maintiendra au prix actuel par le fait des maladies qui semblent menacer à son tour la sériciculture chinoise, victime des mêmes causes épuisantes qui ont atteint jadis la sériciculture européenne. La production française, qui ne donne que des soies d’un prix élevé, pourrait peut-être fonder quelque espoir sur un retour de la mode vers les belles étoffes. Ce retour n’est pas impossible, il semble même se dessiner, mais il sera lent à se prononcer et de courte durée. Des tarifs protecteurs, loin de le précipiter, auraient d’ailleurs pour sûr résultat de le