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d’enthousiasme, un certain penchant à l’ironie, au persiflage universel. Les Français, d’après M. Hamerton, semblent moins disposés que les Anglais aux sentimens de respect et de mépris, ils considèrent d’habitude le monde avec une indifférence plus aisée, ils ne vénèrent pas beaucoup quoi que ce soit ou qui que ce soit, mais ils sont prompts à reconnaître les qualités et les mérites des gens et des choses. Ils subordonnent, d’après M. Brownell, leur sensibilité à leur intelligence. Le modèle de bon goût et de bon ton, c’est Philinte qui veut que l’on soit sage avec sobriété. Même en amour, où l’Italien est passionné, l’Allemand sentimental, l’Anglais sérieux, le Français se montre peut-être plus spirituel que sincèrement ému. Il n’est pas jusqu’au dévergondage qui ne soit modéré par le rationalisme. Mme Cardinal, en mère pleine de sens, exige que ses filles gardent toujours le sentiment des convenances. Si l’on excepte le naturel méridional, il y a une tempérance générale dans les discours, les gestes, les habitudes. Rien de cette ivrognerie, de cette gloutonnerie, si fréquentes en Allemagne et en Angleterre. En somme, un caractère raisonnable, peu favorable à l’exaltation. M. Brownell cite à l’appui de sa thèse M. Taine, qui compare les Parisiens aux Athéniens ; et Victor Hugo, lorsqu’il écrit avec son emphase habituelle : « Paris a été trempé dans le bon sens, ce Styx qui ne laisse pas passer les ombres. »


IV

C’est dans notre art que les critiques étrangers cherchent le reflet de nos mœurs et de notre esprit. Il n’y a pas de nation, remarquent-ils, où les artistes vivent plus rapprochés de la société, forment moins une classe à part, pensent plus au public, pour accepter ses goûts ou pour lui imposer les leurs. Joseph Prudhomme a consacré par un axiome le prestige dont les artistes jouissent dans la société parisienne : « La seule aristocratie est l’aristocratie du talent. » L’art participe à la sainteté que le rang et la richesse obtiennent seuls en Angleterre. Notre littérature, ainsi pénétrée de vie sociale, ne répand pas cette odeur de mansarde, de bibliothèque, d’atelier ou d’école que M. Hillebrand trouve si désagréable à respirer dans la littérature allemande.

De tous nos genres, le plus original, ou du moins celui que nous avons poussé à son plus parfait développement, c’est la comédie. Addison qualifie en ce sens la France de nation comique, et Henri Heine nous désigne irrévérencieusement comme « les comédiens ordinaires du bon Dieu. » Pas de comédie sans vie de société ; aussi serait-on fort en peine de citer une pièce passable dans tous les ouvrages classiques de l’Allemagne : leur ironie est