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Mais que reste-t-il de la fusée brillante et rapide une fois tirée, de la bulle de savon irisée qui éclate au premier souffle ?

Une manière d’être, inséparable de toute vie sociale, c’est la vanité. On se recherche, on s’assemble par désir de gagner l’approbation, de faire effet, de « montrer soi supérieur. » Cette pénétration si fine et si aiguisée des ridicules de chacun, n’est-ce point en fin de compte une façon indirecte de se rendre secrètement hommage à soi-même ? Aussi notre passion d’égalité, inscrite et proclamée sur tous nos monumens, semble-t-elle à M. Hillebrand singulièrement ironique, quand il voit quelle considération, quelle recherche, quelle envie s’attachent aux distinctions de tout ordre, particules, croix, dignités académiques, etc. On les sollicite passionnément, car les honneurs ne viennent pas d’ordinaire trouver le mérite silencieux, comme dit Hamlet. Pour nos talens, nos vertus et nos vices, il nous faut la galerie. Si nous défendons notre honneur, il importe que les journaux citent nos noms et les témoins du duel. Il n’est pas jusqu’au criminel qui, du fond de sa cellule, ne se préoccupe de la presse. « Rien, dit Voltaire, n’est aussi désagréable que d’être pendu obscurément. »

Beaucoup de vie sociale a pour conséquence peu de vie personnelle intime et profonde : dans la proportion même où l’une se développe, l’autre se restreint et s’atrophie. Allemands et Anglais prétendent que les Français vivent pour le présent, la mode, l’actualité, le désir de plaire, beaucoup plus que pour eux-mêmes. L’individu a moins d’importance que n’en ont les relations des individus entre eux. On se demande, non « Qui êtes-vous ? » mais « Qui connaissez-vous ? » C’est moins par l’énergie individuelle que par ses relations, que l’on se pousse très avant dans le monde, par l’intelligence du milieu social, l’art avec lequel on se concilie la bienveillance, l’approbation, l’estime autour de soi. Dès lors, la lutte pour la vie ne présente pas cette rudesse, cette âpreté, cette sécheresse, que lui donne l’individualisme à outrance des Américains. Cet individualisme, écrit M. Brownell, nous a débarrassés du despotisme politique et du despotisme social qui règne en Angleterre ; nous lui devons nos opinions, nos religions individuelles, mais nous ne sommes pour ainsi dire que des individus sans individualité, tous absorbés par une occupation identique, les affaires et les entreprises. Notre société américaine est encore à l’état de chaos. En nous donnant l’homme, elle nous a privés du milieu qui le forme et l’affine. A Paris, au contraire, sous l’uniformité extérieure et les manières impersonnelles, on discerne bien vite une étonnante variété de mondes et de milieux.

Un dernier trait de notre société parisienne, que soulignent M. Hamerton et M. Brownell, c’est l’esprit positif, l’absence