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flegmatiques et individualistes, si aisément éloignés de leurs semblables par les moindres divergences, ne s’associant que par groupes restreints, contrairement aux Français, êtres sociables par excellence, soumis à toutes les influences de l’opinion et de la mode, divisés sans doute comme partis, mais étroitement unis comme peuple, et enserrés dans le réseau d’une centralisation excessive.

Telles sont, d’après M. Hillebrand et M. Brownell, les facultés maîtresses, dont nous allons suivre l’influence déterminante sur la religion, l’éducation, la famille, les mœurs sociales, l’art et la vie publique.


II

Rien n’accuse mieux les dissemblances entre nations que la nature du sentiment religieux propre à chacune d’elles. Les dispositions natives contribuent à modeler les idées religieuses, qui réagissent à leur tour. Un peuple se forme sa religion comme la tortue fabrique sa carapace. Arrivée à l’âge adulte, la tortue, pour peu qu’elle soit douée, s’apercevra que sa carapace la ralentit ; mais comment s’en délivrer ? Sa structure détermine sa manière d’agir.

Considérez en Angleterre le puritanisme. Sorti de la vie même du peuple, à un moment de son histoire, il en a transformé les habitudes morales. De la joyeuse Angleterre, comme l’appelait Shakspeare, il a fait une nation sévère et rigide. Ce pli qu’il a laissé à la classe moyenne n’est pas encore effacé. Or qu’est-ce que le puritanisme ? M. Brownell le définit : « L’excès de l’esprit individuel, manifesté par l’éducation de la conscience. » En d’autres termes, c’est l’exaltation de l’individualisme dans la sphère morale.

La France, au contraire, d’après M. Brownell, a conservé le catholicisme parce qu’il est l’expression de l’instinct social. Les liens des fidèles avec leur église sont bien plus resserrés que dans les pays protestans. Par la confession, par la fréquence de ses rites, l’église, confidente, directrice et consolatrice, prend charge entière du domaine de la conscience. « Comme la conscience est la source la plus élevée des actions humaines, dans la mesure même où l’individu se résigne à mettre cette charge en d’autres mains, il place en dehors de lui le vrai sens de sa nature morale, » son individualité tend à s’effacer, son initiative personnelle à s’alanguir. Au contraire, ses rapports avec autrui deviennent plus sensibles et plus importans : de là son respect pour l’opinion, son souci de se mettre en harmonie avec son milieu, son zèle à remplir des devoirs sociaux. L’homme qui n’a d’autre guide que la conscience devient aisément la proie du doute, de l’anxiété, sa conduite peut être, par suite, hésitante, incertaine ; le catholicisme implique, au contraire,