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généralisateur, a vu la France à travers Paris, et Paris à travers New-York. La France et les Français dans la seconde moitié du XIXe siècle, par M. Hillebrand, paraissait en Allemagne au lendemain de la guerre. La situation particulière de M. Hillebrand, mort depuis, rendait malaisé d’en parler avec impartialité. C’est lui qui a pénétré le plus avant dans l’esprit de notre société française, de nos institutions et de nos mœurs.


I

Ces auteurs ont eu soin de se mettre en garde contre l’uniformité apparente qu’implique ce terme géographique, la France. Il n’y a que de très petits peuples qui soient homogènes. Contrastes et diversité se rencontrent dans tous les pays. Le climat, le milieu, façonnent diversement les habitans de la plaine et de la montagne, les populations agricoles et marines, les gens du Nord et ceux du Midi. Des traits ineffaçables distinguent entre eux, Bretons, Flamands, Provençaux et Gascons. Malgré la monotonie dont la civilisation industrielle nous menace, des traditions aussi se perpétuent, d’anciennes provinces conservent quelque chose de leur esprit séculaire, que M. Montégut, avec la pénétration du sens historique, évoquait ici même. A quelques lieues de distance, une petite ville manufacturière, démocratique et radicale, grandit à côté d’une autre ville où ces idées modernes sont ignorées ou méprisées. Les deux extrêmes peuvent même, comme à Lyon, se trouver en présence. Que de Paris enfin dans Paris !

Comme elle est dans l’espace, cette variété est aussi dans le temps. Il y a bien une physionomie essentielle de la nature française que les écrivains anciens ont déjà signalée avec une précision lapidaire, mais son caractère principal est la mobilité. Caton l’Ancien dit des Gaulois qu’ils aiment passionnément deux choses, se battre et parler avec finesse : César les décrit variables dans leurs desseins, inconstans dans leurs résolutions et surtout avides de nouveautés ; Flavius Vopisque les proclame la nation la plus turbulente de la terre, toujours impatiente de changer de chef ou de gouvernement ; et Tite-Live mentionne leurs alternatives d’enthousiasme facile et de découragement soudain. Tels encore les juge M. Hillebrand au XIXe siècle. Tantôt, dit-il, c’est le prestige éclatant et tantôt la défaite, une égale promptitude à l’exaltation comme à l’abattement et à la tristesse, une participation passionnée à l’état, ou une indifférence désespérée. Pessimisme et optimisme se succèdent dans la vie publique presque sans transition. Légers en politique, prodigues des deniers de l’état, ne suivant que l’impulsion du moment, ces mêmes Français, lorsqu’il s’agit de leurs