exposer vite les situations, dessiner en quelques traits les caractères et courir au dénoûment, le tout en un espace de temps terriblement restreint. C’est pourquoi l’histoire du théâtre est une longue suite d’hommes habiles, coupée çà et là par un homme de génie. Or ce genre d’habileté ne se rencontre guère chez les écrivains allemands. Ils répugnent, en général, à serrer la composition, je ne dis même pas d’un drame, mais d’un roman. Ils ont été bien longtemps à l’école des Français, mais ils n’y ont pas appris à « faire court, » comme dit Pascal, et, de vrai, ils n’en ressentent pas le besoin. Les genres qui leur conviennent le mieux sont ceux qui n’assignent point aux œuvres de limites précises : l’histoire, la philosophie, la poésie lyrique, la critique. De là aussi tant de a fragmens » dans la littérature allemande, et jusque dans l’œuvre du plus grand de leurs écrivains, de Goethe même.
La prolixité de Tieck n’est donc pas exceptionnelle ; mais elle n’en fatigue pas moins. Son style, chargé d’épithètes, verse insensiblement dans la poésie, et il entremêle volontiers la prose de vers, mais l’heureux effet du mélange se trouve compromis par la trop grande analogie des deux élémens : le contraste, trop atténué, n’agit plus. Nulle part ce défaut n’est plus sensible que dans le roman de Sternbald. Cette œuvre inachevée, que Tieck écrivit en collaboration avec Wackenroder, et qu’il fit suivre d’une seconde partie après la mort de son ami, enchanta les romantiques. « Le livre est divin, s’écrie Frédéric Schlegel, et c’est bien peu dire que de l’appeler le meilleur que Tieck ait jamais donné. C’est le premier roman qui soit romantique depuis Cervantes, et je le mets fort au-dessus de Wilhelm Meister. » L’œuvre de Goethe a pourtant servi de modèle à Wackenroder et à Tieck ; mais ils l’ont interprétée et imitée dans le sens de leurs secrètes sympathies. Wilhelm Meister demeurait, en somme, assez réaliste. C’est une certaine teinte générale du style, c’est surtout l’introduction de personnages tels que Mignon et le vieux joueur de harpe qui donnaient, une tonalité romantique à une histoire bourgeoise dans son fond. Wackenroder et Tieck restreignent infiniment plus la part de l’observation et du réel. Ils veulent être plus romantiques ; ils sont aussi moins vrais et moins intéressans. Sternbald conte l’histoire anecdotique d’un peintre allemand du XVIe siècle que ses voyages conduisent en Italie ; — remarquez l’époque et le héros que les auteurs ont choisis : quoi de plus romantique ? Tout, en ce récit, demeure fondu dans une brume indistincte. Les caractères sont vagues et flottans ; les physionomies, indécises, se dessinent à peine ; les événemens même n’ont point de vraisemblance. Mais n’est-ce pas en cela même qu’a consisté le romantisme : préférer