avoir des droits qui sont méconnus et violés. Cette génération nouvelle subit l’attrait d’un idéal nouveau ; les doctrines qui ont triomphé se sont épuisées dans leur victoire même. Au fond, c’est le rationalisme protestant qui l’avait emporté dans la littérature allemande du XVIIIe siècle : il ne satisfaisait point toute l’âme, ou du moins toutes les âmes, et le romantisme a été comme l’explosion d’un mécontentement. Par là s’explique sa prédilection pour le christianisme d’avant la Réforme, pour le culte de la Vierge Marie et pour les touchantes cérémonies de l’église du moyen âge ; par là s’explique aussi le penchant qui entraîna plus d’un romantique vers le catholicisme. On sait que Frédéric Schlegel finit par s’y convertir, et qu’il ne fut pas le seul.
Les romantiques ont formé, au moins pour quelque temps, un bataillon serré contre leurs ennemis communs, sous le commandement de Frédéric Schlegel. Ils avaient une revue, l’Athenaum, dont il fut, avec son frère, le créateur et l’inspirateur, et où il prit vigoureusement l’offensive. Mais l’union dura peu. Chacun suivit bientôt la voie où l’engageaient ses dispositions naturelles, — romantique toujours, mais indépendant. Leurs œuvres ont-elles répondu au programme commun, et qu’ont-ils laissé de durable ?
Louis Tieck, qui a survécu à la plupart des autres romantiques, et qui rendit à plusieurs le pieux devoir de publier leurs œuvres posthumes, avait eu le mérite de leur montrer le chemin. C’est un romantique de la première heure. Avant que Frédéric Schlegel eût fait connaître sa théorie du romantisme, Tieck avait donné ses premiers ouvrages, William Lovell, Études sur Shakspeare, Peter Leberecht ; il avait développé, sous forme de drame libre, les contes de Barbe-Bleue et du Chat Botté, se plaisant à une confusion des genres qui n’est pas sans grâce, mais qui fatigue vite, mêlant la poésie à la prose, l’ironie au lyrisme, et se donnant pour règle de n’avoir point de règle. Aussi, lorsque Tieck et Frédéric Schlegel s’étaient rencontrés à Berlin, en 1795, s’étaient-ils joints aussitôt. Chacun se reconnut dans les aversions et dans les goûts de son nouvel ami, et les théories de l’un s’appliquaient exactement aux œuvres de l’autre. Mon que Tieck eût conçu le dessein d’unir, comme le demandait Frédéric Schlegel, « l’ironie de Platon au lyrisme de Goethe et à la métaphysique de Fichte. » Sans érudition philologique, sans prétention philosophique, Tieck exprimait simplement le premier les besoins nouveaux de la jeune génération qui allait