l’humour : « Là où l’imagination et le jugement se rencontrent, dit Novalis, jaillit l’esprit ; là où la raison et le caprice s’unissent, naît l’humour. » N’entendez pas par esprit la vivacité aimable, les saillies imprévues, la grâce malicieuse, la drôlerie parfois irrésistible d’un Voltaire ou d’un About. L’esprit romantique est bien un peu cela ; il est surtout autre chose. Il a pour fonction d’exprimer, comme l’ironie, la souveraineté absolue du « moi, » qui ne s’absorbe jamais dans le « non-moi » qu’il crée. L’artiste, en donnant à son œuvre une forme inattendue, paradoxale, spirituelle en un mot, montre par là qu’il joue avec son objet, qu’il en est le maître et non l’esclave, ni la dupe : il y imprime enfin le cachet de sa personnalité. À ce prix seulement il est original. L’art antique était, en un sens, plus impersonnel. L’art moderne veut exprimer non-seulement la nature, mais le « moi, » et, plus encore, la souveraineté du « moi » sur la nature. C’est pourquoi l’esprit et l’ironie y tiennent tant de place.
Voilà, certes, une façon cruellement germanique et métaphysique d’expliquer la chose du monde la plus légère et la plus insaisissable. Que sera-ce quand les romantiques voudront passer de la théorie à la pratique ? L’ironie tournera à l’allégorie fatigante, l’esprit à la plaisanterie épaisse, le paradoxe à l’énormité. Heine, qui avait de l’esprit tout naturellement, sans théorie, a été cruel pour l’ironie des romantiques : — « Autrefois, dit-il, lorsque quelqu’un avait lâché une sottise, elle était lâchée. Qu’y faire ? On disait : « Ce monsieur est un sot. » — C’était désagréable. Mais aujourd’hui, qu’une platitude ou une sottise se découvre, l’auteur en est quitte pour dire que c’était de l’ironie : merveilleuse ressource pour quantité de gens ! » — Heine a la dent trop dure, et, à son ordinaire, il emporte le morceau. Que l’ironie des romantiques ait été souvent lourde et plate, il n’est que trop certain : mais leur théorie renfermait pourtant une idée juste. N’est-il pas vrai que l’ironie et l’humour sont des signes caractéristiques des littératures modernes : qu’ils sont demeurés à peu près inconnus des anciens, et qu’ils ne leur auraient guère plu sans doute, et cela, pour la même raison qui leur faisait trouver affreux les rochers et les glaciers que nous admirons tant ? Ils préféraient l’accord parfait à la résolution des dissonances : ils ne concevaient pas le « moi » comme une force infinie en lutte avec la nature. L’infini même leur paraissait monstrueux et détestable, et rien ne leur plaisait sans l’harmonieuse justesse des proportions. N’est-il pas vrai encore que Kant et surtout Fichte ont profondément senti le besoin d’infinité de l’âme moderne, et que Fichte est le vrai théoricien du romantisme ?
L’erreur grave des romantiques a été de s’imaginer qu’en