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Pascal doit à ses adversaires plus de charité ; mais, puisque Dieu lui-même a dit :



In interitu vestro ridebo et subsannabo.



l’ironie lui paraît permise.

Un homme du monde, dans les quatre premières lettres, s’informe avec curiosité de ces questions que tout le monde avait alors désir et croyait avoir, pour son salut, intérêt à comprendre. Il consulte des docteurs d’opinions diverses et rapporte leurs réponses avec tant de naïveté et de clarté que, sans être grand clerc, on prend plaisir à ces matières graves et profondes.

En le lisant, on croit tout facile ; car, si Pascal excelle à mettre les nuances en lumière, il n’est pas moins habile à cacher les ombres. Pour les théologiens, l’argumentation est facile ; les textes font preuve : un mot d’Ézéchiel, un verset de saint Paul, une maxime de saint Augustin, un syllogisme de saint Thomas, une décision du concile de Trente, sont proposés comme des vérités, interprétés quelquefois avec hardiesse, toujours acceptés avec respect. Pour imposer la certitude entière des propositions les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les montrer dans les livres sacrés. Il est bien rare qu’une opinion ne puisse s’appuyer sur une ligne de l’Écriture, — sur deux ou trois mots, quelquefois, détachés de la phrase qui les contient.

Un pamphlétaire a emprunté à saint Paul cette épigraphe, très bien choisie, mais peu charitable : Increpa illos durè. Pascal y ajoute : Jocosè.

Le rôle de la grâce, intelligible dans Pelage, qui le réduit à rien, obscur dans saint Augustin, le plus grand des pères, qui prétend en marquer les limites, embrouillé de siècle en siècle par les commentateurs, outré enfin par la réforme, tourmenta pendant vingt ans la pensée de Jansénius. Sans mêler, volontairement au moins, à l’humilité d’un disciple la superbe périlleuse d’un censeur, le docteur de Louvain, persuadé que, faute d’entendre saint Augustin, tous les scolastiques avaient erré sur la grâce, donna pieusement à son livre, en l’honneur du plus savant des saints, le titre d’Augustinus, devenu célèbre.

L’Augustinus, publié en 1640, deux ans après la mort de l’auteur, devait être dédié au pape Urbain VIII. Jansénius avait dit sur son lit de mort : « Je crois qu’on pourrait difficilement changer quelque chose à mon ouvrage. Que si, pourtant, le saint-siège y voulait quelque changement, je suis un fils obéissant et soumis. »

Le livre, malgré cette déclaration, fut imprimé en secret et à la hâte. Une seconde édition parut en 1641, et une troisième à Rouen