Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par métier. » Enfin, ne se peint-elle pas tout entière lorsque, à la maxime CCCCLXVI : « De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c’est l’amour, » elle ajoute ce commentaire : « Vrai, parce qu’il paraît le moins et qu’il est aisé de le cacher : le caractère d’une femme est de n’avoir rien qui puisse marquer. »

« N’avoir rien qui puisse marquer. » N’est-ce pas, en effet, le caractère qu’en dépit de la princesse de Clèves et de La Rochefoucauld, Mme de La Fayette avait voulu conserver à sa vie ? Ses amis l’appelaient : le brouillard. Ce dernier trait achève à mes yeux de confirmer, malgré certaines obscurités qui demeurent, l’attribution si formelle que porte le volume lui-même. C’est surtout, je le reconnais, affaire d’impression morale, mais plus j’ai feuilleté ce petit volume jauni par le temps et plus j’ai eu le sentiment qu’il était tout imprégné de Mme de La Fayette, et qu’il exhalait son parfum. J’aime à me la représenter dans les premiers mois de cette année 1693, déjà détachée de tout « par cette vue si longue et si prochaine de la mort qui faisait paraître à Mme de Clèves les choses de cette vie de cet œil si différent dont on les voit dans la santé ; » mais cependant, attendant avec impatience ces épreuves que chaque semaine lui envoyait Barbin, les recevant peut-être dans ce petit cabinet couvert, au fond du jardin, où elle avait autrefois, en compagnie de La Rochefoucauld et de Mme de Sévigné, passé de si douces heures, les revoyant sans embarras avec son fils, lui dictant tantôt ses objections, tantôt ses éloges, et engageant ainsi avec celui qui avait tenu une si grande place dans sa vie comme une conversation suprême. Quatorze années auparavant, Mme de Longueville avait précédé de quelques mois dans la tombe, mais sans l’avoir revu à sa dernière heure, celui dont la pensée ne pouvait faire naître en elle que confusion et remords. Mme de La Fayette pouvait au contraire et sans scrupules l’admettre, en quelque sorte en tiers entre elle et Dieu. Parfois le sacrifice recueille ainsi sa récompense tardive, et Mme de La Fayette devait en avoir le sentiment lorsqu’à cette amère maxime de La Rochefoucauld : « Dans la vieillesse de l’amour, comme dans celle de l’âge, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs, » elle opposait (c’est la dernière citation par laquelle je veux finir) cette douce réponse : « Il y a quelquefois des regains dans l’un et dans l’autre qui font revivre pour les plaisirs. » Ce regain qui la faisait revivre et ce dernier plaisir qu’elle goûtait, c’est de tous le plus précieux, mais aussi le plus rare : c’est la douceur des purs souvenirs.


HAUSSONVILLE.