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de La Rochefoucauld, qu’il a publiées comme inédites. Les voici : u J’ai cessé d’aimer toutes celles qui m’ont aimé et j’adore Zaÿde, qui me méprise. Est-ce sa beauté qui produit un effet si extraordinaire ou si ses rigueurs causent mon attachement ? Serait-il possible que j’eusse un si bizarre sentiment dans le cœur et que le seul moyen de m’attacher fût de ne m’aimer pas ? Ah ! Zaÿde, ne serai-je jamais assez heureux pour être en état de connaître si ce sont vos charmes ou vos rigueurs qui m’attachent à vous ? » Mais M. Cousin, que nous allons trouver tout à l’heure si méfiant en matière d’attribution, a commis ici une singulière méprise. Il a cru mettre la main sur une lettre, ou du moins le brouillon d’une lettre adressée par La Rochefoucauld à Mme de La Fayette, sous le nom de Zaÿde. Il ne s’est pas aperçu que c’était tout simplement, à quelques variantes près, un passage du roman de Zaÿde. De ce passage, La Rochefoucauld serait donc le véritable auteur, et Mme de La Fayette n’aurait fait que l’insérer après l’avoir retouché et abrégé.

Zaÿde a paru en 1670. La composition en remonte donc aux années précédentes, c’est-à-dire, précisément à celles où Mme de La Fayette réglait, non sans orages peut-être, ses relations avec La Rochefoucauld. Lorsque La Rochefoucauld met ces plaintes et cet aveu dans la bouche du prince Alamir, lorsqu’il le fait se plaindre des rigueurs de Zaÿde et reconnaître en même temps que ces rigueurs sont précisément ce qui l’attache à elle, n’est-ce pas lui-même qui parle et dont il dépeint les sentimens ? S’il en était autrement, pourquoi aurait-il écrit ce passage de sa main, et pourquoi l’aurait-il proposé à l’auteur de Zaÿde ? Enfin de tout ceci nous trouverons peut-être, en cherchant bien, la confirmation dans les notes de ce petit volume dont j’ai parlé en commençant, et c’est là mon excuse pour cette dissertation, moins oiseuse, par conséquent, qu’elle n’a dû le paraître au premier abord.


II

Je n’insisterai pas sur la mention, inconnue de Duplessis et de M. Cousin, qui attribue formellement ces annotations à Mme de La Fayette et qui fait venir ce volume de la bibliothèque de son fils l’abbé, mention capitale, car à en juger par l’ancienneté de l’écriture, elle peut parfaitement émaner d’un contemporain de l’abbé. Quant à l’édition, c’est celle (bien connue des différens éditeurs de La Rochefoucauld) que Barbin fit paraître en 1693. Mme de La Fayette étant morte dans les derniers jours de mai de cette même année, la date de l’édition confirme bien la mention portée sur la garde du volume, que ces observations furent écrites en marge par Mme de La Fayette l’année de sa mort. Il y a cependant une petite