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Fayette demeurât seulement sa favorite et sa première amie. Il avait bien pu écrire, quelques années auparavant, que les belles passions s’accommodent avec la plus austère vertu ; mais lorsque la connaissance des grands sentimens de l’amour eut passé, chez lui, de l’esprit au cœur, et lorsqu’il s’agit de se plier lui-même à cet accommodement, l’épreuve dut lui sembler nouvelle autant que difficile. Il n’a pas dû accepter sans révolte que Mme de La Fayette coupât les ailes (si ce sont des ailes) à l’amour. Pareil retranchement ne s’opère pas, en tout cas, sans souffrance, et celle qui l’impose en peut saigner autant que celui qui le subit. Nous en croirons cependant Mlle de Scudéry sur parole, et non pas une vilaine chanson sur le Berger Foucault et la nymphe Sagiette, qui circula sous main à cette époque, et dont, je l’espère, Mme de La Fayette n’a jamais eu connaissance, car sa délicatesse en aurait étrangement souffert. Une seule chose pourrait étonner, c’est qu’après s’être défendue, comme nous l’avons vue faire dans sa lettre à Mme de Sablé, Mme de La Fayette eût, en quelques années, à ce point changé d’attitude que sa liaison avec La Rochefoucauld fût devenue publique. J’y trouve cependant une explication à laquelle les différens biographes de Mme de La Fayette n’ont pas prêté, suivant moi, une attention suffisante. Ce fut seulement en 1668 (ou 1669) que mourut Catherine de Vivonne, cette épouse fidèle, mais délaissée, qu’entre temps La Rochefoucauld avait cependant rendue mère de huit enfans, et qui, au moment de la blessure reçue par son mari au service de Mme de Longueville, écrivait à Lenet, avec une résignation si touchante : « Sa santé est si mauvaise, qu’il a cru que je lui pourrai aider en quelque petite chose à supporter son chagrin. » Ils étaient donc libres tous deux, car Mme de La Fayette était veuve depuis quelques années déjà. Elle pouvait sans remords occuper dans la vie intime de La Rochefoucauld cette place qu’une femme d’honneur ne disputera jamais à l’épouse. Et si cette sorte de mariage moral, dont La Rochefoucauld dut se contenter, paraissait à quelques rigoristes un accommodement encore blâmable, je leur répondrai par ce propos, que Mme de La Fayette tenait un jour gaîment sur elle-même : « A-t-on gagé d’être parfaite ? »

Mais la preuve, me dira-t-on, la preuve de ce roman d’amour et de vertu qu’à la plus grande gloire de Mme de La Fayette, vous ne craignez pas d’imaginer ? La preuve : je confesse qu’il n’y en a point, et par une bonne raison, ajouterai-je, c’est qu’en matière négative (comme on dit dans la langue du droit) il ne saurait y en avoir. C’est affaire de conviction, qui se forme en étudiant la nature d’une personne, sa vie et son milieu. Que pareille conception de la vie à deux ait pu être imposée par Mme de La Fayette à La