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encore inédites, pour recueillir leur sentiment. Si elle en eut connaissance, ce fut par une lecture publique que Mme du Plessis-Guénégaud en donna au château de Fresnes. A peine cette lecture terminée, elle écrivit à Mme de Sablé, qui avait prêté le manuscrit à Mme du Plessis : « Ah ! madame ! quelle corruption il faut avoir dans l’esprit et dans le cœur pour être capable d’imaginer tout cela. J’en suis si épouvantée que je vous assure que, si les plaisanteries étaient des choses sérieuses, de telles maximes gâteraient plus ses affaires que tous les potages qu’il mangea chez vous l’autre jour. » Le cri que cette lecture arrache à Mme de La Fayette n’est-il pas la preuve du trouble intérieur auquel elle est déjà en proie ? Elle est épouvantée de la corruption qu’elle découvre chez l’homme pour lequel elle éprouve cette belle sympathie, Quoi ! est-ce véritablement sur ces Maximes qu’il faut juger et de son esprit et de son cœur ? Elle n’en veut rien croire. Ce sont plaisanteries et non point choses sérieuses ; s’il en était autrement, cela gâterait plus les affaires de La Rochefoucauld que tous les potages qu’il mangea certain soir chez Mme de Sablé.

Cette phrase, un peu énigmatique, donne à penser que les assiduités de La Rochefoucauld auprès de Mme de La Fayette n’avaient point échappé à Mme de Sablé et que celle-ci en plaisantait peut-être un peu. La découverte de cette corruption ne paraît cependant pas avoir fait tort à La Rochefoucauld dans l’esprit de Mme de La Fayette. Parfois il arrive, en effet, qu’un je ne sais quoi nous intéresse et nous attache aux êtres qui nous paraissent valoir mieux que leur conduite et que leur vie. Notre imagination les voit non pas tels qu’ils sont, mais tels qu’ils auraient pu être ; nous passons leurs défauts au compte des circonstances et nous leur faisons crédit des qualités qu’ils auraient pu avoir. Quoi qu’il en soit, ce nouveau sentiment de La Rochefoucauld commençait à n’être plus un mystère. On en était informé jusque dans ces couvens mondains où pénétraient les échos de la ville et de la cour. C’est ainsi que l’abbesse de Malnoue, Éléonore de Rohan, y faisait allusion dans une lettre qu’elle écrivait à La Rochefoucauld, toujours à propos de ces Maximes qui circulaient inédites. Elle se plaint qu’il y ait mal parlé des femmes, et elle ajoute : « Il me semble que Mme de La Fayette et moi méritions bien que vous ayez meilleure opinion du sexe en général. » — L’abbesse au surplus n’y voyait point de mal, sans quoi, personne d’esprit libre, mais de mœurs irréprochables, elle n’aurait point fait elle-même le rapprochement. Mais le bruit qui commençait à se faire autour de cette liaison ne laissait pas de préoccuper et d’agiter Mme de La Fayette. Nous en avons la preuve dans une bien curieuse lettre adressée par elle, en 1666, à Mme de Sablé, lettre que Sainte-Beuve a, pour la première fois,