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qu’on n’a pas cessé de voir en lui le premier gardien de la nationalité belge ; c’est qu’on ne peut pas croire à ces traités clandestins qui le lieraient comme un humble vassal et seraient l’asservissement prémédité de la Belgique à l’Allemagne. Le roi Léopold est resté, à travers tout, pour les Belges, le représentant du droit national aussi bien que des libertés constitutionnelles. C’est l’explication la plus simple de sa popularité, de cette popularité qui vient de se manifester dans les dernières fêtes célébrées pour le vingt-cinquième anniversaire du règne, et dans cette récente affaire du Congo, objet d’une transaction ou d’une sorte de pacte de famille entre le prince et le parlement de Bruxelles.

Jusqu’ici, le Congo était un état indépendant sous la couronne belge, ou, pour mieux dire, sous la souveraineté personnelle du roi Léopold. Une conférence de Berlin l’a décidé ainsi il y a déjà quelques années. Depuis le premier jour, Léopold II s’est donné à cette œuvre de colonisation, qu’il a soutenue de sa protection active, de ses subsides, avec les ressources de sa fortune personnelle. Aujourd’hui, il n’a pas cru, sans doute, pouvoir aller plus loin, et, par un acte un peu singulier, par une lettre adressée à son président du conseil, accompagnée d’un testament, il a proposé de céder l’état sur lequel il a un droit de souveraineté personnelle à la Belgique même. La Belgique, de son côté, sous la forme d’un prêt qui ressemble étrangement à un don, avancerait une somme de 25 millions pour suffire au développement de la colonie africaine. C’est l’objet d’une convention qui a été proposée au parlement de Bruxelles et votée il y a quelques jours. Cette transaction ne laissait pas, à la vérité, de soulever quelques questions délicates, constitutionnelles ou diplomatiques. La France avait un droit de préemption dans le cas où le roi Léopold se dessaisirait de l’état dont il est le souverain. D’un autre côté, on pouvait se demander si la neutralité, qui est la loi de la Belgique, s’étendrait au Congo. Ces questions ont été facilement résolues. La France n’a fait aucune difficulté ; la neutralité a été assurée au Congo. Le parlement belge n’a eu qu’à recueillir la libéralité de son roi en votant les subsides qui lui étaient demandés, et, en donnant 25 millions, il n’est pas probable que la Belgique ait cru travailler pour assurer dans l’avenir une colonie de plus au roi de Prusse !

Le calme n’est guère ou n’est que pour un temps de ce monde, de ce qu’on appelle le vieux monde ; il est encore moins du monde nouveau. Ce n’est pas l’agitation qui manque au-delà de l’Atlantique. Elle n’a rien d’exceptionnel et d’accidentel ; elle est depuis cinquante ans et plus la fatalité, la loi constante et presque invariable de ces républiques hispano-américaines où la civilisation n’est encore qu’un fruit hâtif et artificiel. Elle peut paraître quelquefois interrompue par quelque période de paix, par une trêve passagère, elle ne tarde pas à se déchaî-