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possibles de la politique, des intérêts qui peuvent s’imposer, du caractère des hommes qui dirigent ou qui dirigeront les affaires dans les principaux états de l’Europe. C’est pour ainsi dire une œuvre à l’essai. Ce qu’elle produira réellement, ce qui arrivera, c’est l’affaire de l’avenir, d’un avenir peut-être prochain qui débrouillera nos énigmes contemporaines et mettra au jour les secrets des chancelleries. En attendant, le plus actif, le plus agité, le plus impatient des souverains, l’empereur Guillaume II en personne se charge d’animer la scène et d’occuper le monde en ce temps de vacances par ses voyages, qui sont, à dire vrai, l’épisode le plus caractéristique du moment. Le jeune empereur ne perd pas son temps. Depuis son avènement, il a déjà parcouru le monde ou à peu près ; il est partout. Il y a quelques semaines, il était en Norvège prononçant des discours. D’ici à peu, avant la fin du mois, il doit revenir en Russie pour rendre une nouvelle visite au tsar et assister aux manœuvres de l’armée russe. Ces jours passés, voyageant sur son navire, le Hohenzollern, il a débarqué un instant sur le territoire belge, à Ostende, et sans plus de retard, il a cinglé vers l’Angleterre, se rendant à Osborne, auprès de sa grand’mère la reine Victoria. À Ostende, il a rencontré, pour le recevoir, le roi Léopold II, le comte de Flandre, le prince héréditaire de Belgique.

Il a eu son banquet officiel sans prononcer de discours. Il paraît avoir trouvé dans la population un accueil simple et tranquillement courtois, sans apparence d’enthousiasme. À Osborne, il arrivait au bon moment, au lendemain de la convention anglo-allemande qui consacre la cession d’Héligoland et le partage des territoires africains. Guillaume II a trouvé naturellement à Osborne l’accueil particulier réservé au petit-fils de la reine, au souverain puissant qui vient de resserrer les liens avec l’Angleterre. Tout s’est passé pour le mieux, comme c’était à prévoir. On remarquera seulement, si l’on tient à tout noter, que dans ces récentes visites en pays étrangers, le souverain allemand s’est abstenu d’aller jusqu’à Bruxelles et à Londres, jusqu’à ces capitales populeuses et libres où l’on n’est pas toujours sûr de pouvoir interdire quelque manifestation importune.

L’empereur Guillaume voyage où il veut et comme il veut ; rien de mieux, assurément. Ces visites qu’il multiplie, qu’il vient de renouveler dans quelques pays, se rattachent-elles à des combinaisons politiques ? déguisent-elles quelque intention secrète, quelque plan conçu et suivi avec calcul ? Évidemment, le jeune souverain de l’Allemagne ne doit pas voyager uniquement pour satisfaire sa fantaisie, par une obsession d’humeur vagabonde. Sans rien exagérer, on peut supposer que, si ce prince toujours en mouvement va en Angleterre, en Russie, c’est avec la pensée d’étendre ses relations, de se créer de nouveaux alliés en dehors de la triple alliance. Un de ses confidens, interrogé à Ostende, a même dit que, si Guillaume II ne craignait pas qu’on prît