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sénat dans sa vanité en lui persuadant qu’il avait déjà sauvé la république, il y a un an, et qu’il pouvait la sauver encore en votant une réforme démocratique réclamée par le pays. C’est là précisément ce qui reste une question. Il s’agit de savoir si c’est une réforme et si cette réforme est aussi populaire qu’on le croit. Ceux-là mêmes qui l’ont fait voter ne savent pas ce que l’impôt de quotité peut produire.

Provisoirement, il n’y a qu’une chose certaine, c’est qu’on vient d’introduire au pied levé dans la contribution foncière, ou si l’on veut, dans une partie de la contribution foncière, un principe nouveau dont on ne peut ni prévoir ni préciser les conséquences, justement parce qu’il implique un inévitable arbitraire. M. le ministre des finances s’est donné des airs de victorieux, de réformateur satisfait, en traitant avec quelque ironie ceux qui s’effraient de la quotité, qui y voient un acheminement vers l’impôt sur le revenu, — en prétendant que cet impôt sur le revenu est déjà partout, sous toutes les formes, en France. Certainement c’est ainsi ! l’impôt direct français est fondé sur le revenu ; les innovateurs n’inventent rien. Tout dépend seulement des conditions dans lesquelles cet impôt est établi et réparti, de l’esprit qui en dirige l’application, des garanties de fixité et d’équité qui l’entourent dans la pratique. Ce qui fait la nouveauté de ce qu’on vient de voter, c’est que ces garanties disparaissent et qu’il ne reste plus que l’action directe du fisc saisissant le contribuable, maître des évaluations, faisant ou pouvant faire de la quotité un instrument flexible pour augmenter les impôts sans en avoir l’air, sans surtaxe apparente. C’est là la nouveauté périlleuse, suspecte, — ou ce n’est rien, ce n’est qu’une illusion de réforme, une chimère livrée à un faux instinct démocratique ; mais ce qu’il y a de plus grave peut-être, c’est que, pour arriver à ce changement qui paraît si simple à M. le ministre des financés, on a été obligé de toucher à bien d’autres lois, à une des prérogatives les plus sérieuses des assemblées locales. Jusqu’ici ce sont les conseils-généraux, les conseils d’arrondissement, les délégués communaux qui ont été chargés de répartir le contingent de la contribution foncière fixé par l’État : c’est une loi organique qui leur a donné cette mission et ce droit. Aujourd’hui ce droit est supprimé ou diminué d’un tour de main, par voie subreptice. De sorte que cette prétendue réforme atteint à la fois le sénat dans sa dignité mise à une dure épreuve, le principe des garanties libérales dans l’impôt, le principe du droit populaire dans les représentations locales. M. le rapporteur Boulanger l’a dit d’un mot net et juste : « Nous faisons dans une loi de budget, — quoi ? Nous faisons la réforme de l’organisation départementale des conseils-généraux… » C’est ce qui s’appelle procéder lestement et bien finir une session !

Au fond, ce n’est qu’un incident de cette session, qui finit comme elle a commencé, qui a provoqué plus d’une fois, depuis qu’elle est ou-