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bord de la mer ; mais, en admettant qu’il n’y en ait que le quart dans ces conditions, cela fait encore 25,000 petits malades à hospitaliser sur le littoral. Il faudrait pour cela environ cent hôpitaux marins. J’ai calculé ce qu’avaient coûté ceux qui existent déjà. Ils sont revenus, en moyenne, à 3,000 francs par lit. Il est vrai que, dans un certain nombre d’entre eux, on a déployé un luxe inutile. En pareille matière, toute dépense qui n’est pas rigoureusement justifiée est une faute. Le côté décoratif doit être absolument négligé. Il faut s’en tenir au confortable strictement nécessaire et se rappeler que, plus on dépense d’argent en constructions, moins il en reste pour le traitement des malades.

Les petits hôpitaux qu’il s’agit d’élever coûteront assurément moins cher que ceux qu’on bâtit dans les villes ; toutefois, il leur faut exactement les mêmes dépendances, et ce serait, je crois, s’exposer à des mécomptes que d’évaluer la dépense à moins de 2,500 francs par lit. C’est donc une première somme de 62,500,000 francs qu’il s’agit de se procurer pour les frais de premier établissement. Il faut ensuite songer à l’entretien des 25,000 malades. En estimant la journée à 1 fr. 80, ce qui est la moyenne des établissemens que j’ai passés en revue, on arrive à une dépense annuelle de 16,425,000 francs.

L’Œuvre des hôpitaux marins ne se décourage pas pour si peu. Elle n’a encore dans ses caisses que 117,400 fr. 18 cent. ; mais elle a foi dans l’avenir, dans la générosité des populations, et j’ajouterai dans leur patriotisme. Il s’agit, en effet, de sauver des enfans, et nous n’en avons plus assez. Le nombre des naissances diminue chaque année dans notre pays ; il dépasse à peine celui des décès et lui sera prochainement inférieur. Notre population demeure stationnaire, tandis que celle des nations rivales s’accroît dans des proportions effrayantes. Nous ne pouvons plus nous passer du concours de l’étranger, et cette invasion, dont le flot monte sans cesse, nous menace à bref délai d’une déchéance complète, irrémédiable. J’ai déjà tant de fois signalé ce péril social qu’il me coûte d’y revenir incidemment ; il faut bien dire pourtant que, puisqu’il ne nous naît plus assez d’enfans pour combler les vides, il faut à tout prix sauver ceux qui nous restent, et puis, ce millier d’hommes de vingt ans qu’on réforme chaque année et qui, pour la plupart, sont incapables de gagner leur vie ; ces aveugles, ces boiteux, ces bossus qu’il faut nourrir leur vie durant, ne sont-ce pas de véritables charges sociales ? Qu’on suppute ce qu’ils coûtent au pays, qu’on calcule ce qu’ils lui auraient rapporté s’ils avaient été valides, et l’on verra s’élever des colonnes de chiffres à côté desquelles les millions réclamés par les hôpitaux marins paraîtront peu de chose.