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Berck-sur-Mer. Il a aussi sa légende. Le docteur Bergeron l’a racontée, d’une manière émouvante, dans son rapport du 15 juillet 1866 au directeur de l’Assistance publique. Cette administration confie, comme on le sait, les enfans dont elle a la charge, à des gens qui les élèvent à la campagne. Or, il advint qu’en 1857 il se trouva parmi ceux qu’elle entretenait dans l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) un certain nombre de scrofuleux dont l’état était lamentable et le traitement extrêmement dispendieux. Le docteur Perrochaud eut l’idée de recourir pour eux au traitement par l’eau de mer ; mais il fallait trouver quelqu’un qui voulût bien s’en charger. Une vieille femme dont le nom mérite qu’on s’en souvienne, la veuve Duhamel, accepta cette pénible tâche. Elle habitait Groffliers, village assez éloigné de la mer, et deux fois par jour elle transportait ses petits pensionnaires dans une brouette, jusque sur la plage. Là, après avoir baigné les enfans et lavé leurs plaies, elle refaisait leurs pansemens et les ramenait chez elle de la même façon[1].

Au bout de quelques mois, les résultats furent si remarquables que l’administration se décida à continuer les essais et à les faciliter, en envoyant les enfans au hameau de Berck, sur le bord même de la mer. Ce fut encore une pauvre femme qui se chargea de les soigner. Celle-là vivait dans une cabane isolée, sur cette immense plage de Berck alors déserte. Elle venait on ne sait d’où. On ne lui avait jamais connu ni mari, ni famille. Elle s’appelait la veuve Brillard ; mais les gens du pays lui avaient donné le nom significatif de Marianne toute seule. Elle gardait les enfans des pêcheurs, pendant que les pères étaient au large et que les mères ramassaient des crevettes sur la plage. On lui confia une douzaine de petits scrofuleux qui avaient besoin de pansemens faits avec soin. Elle s’acquitta si bien de sa tâche qu’on augmenta son petit troupeau ; puis on envoya, sur les lieux, trois religieuses pour diriger le service ; enfin, le succès s’affirmant de plus en plus, on construisit un petit hôpital décent lits, sur un relais de mer de trois hectares acheté par la ville de Paris.

Cet établissement, qui fonctionne encore, est un bâtiment très simple, moitié baraque et moitié chalet, tel qu’on commençait à les construire en 1860. Il se compose de deux pavillons rectangulaires reliés entre eux par deux galeries vitrées qui leur sont perpendiculaires et qui circonscrivent une cour abritée de toutes parts contre les vents du Nord. Ce petit hôpital n’a coûté que 112,118 francs.

  1. L’histoire de la veuve Duhamel a inspiré, à un auteur anglais, une de ces berceuses que nos voisins nomment nursery-rhyme. Elle a paru en septembre 1870 dans London society. Elle a été traduite en français.