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brutes de provenance étrangère, qui la laissait à la merci du fermier indigène, devenu excessif dans ses prétentions de vendeur. L’industriel l’emporta sur l’agriculteur sacrifié aux exigences de la politique. Les droits d’entrée lurent notablement abaissés sur les laines brutes et rehaussés sur les laines manufacturées. Les rôles étaient désormais renversés : la matière première était primée par l’objet manufacturé.

Les effets du nouveau tarif ne tardèrent pas à se faire sentir. Les moutons et brebis de la République argentine et de l’Australie, trouvant la porte presque ouverte, envahirent rapidement les marchés des États-Unis, dont les éleveurs, surpris et déconcertés, se laissèrent aller à un prompt découragement. Le chiffre des bêtes à laine diminua du coup de 7 millions de têtes. L’importation des laines étrangères, qui ne s’était élevée qu’à 78,350,651 livres en 1884, passait progressivement à 12tf,487,729 livres en 1888. Du 1er janvier au 1er octobre 1889, elle atteignait 98 millions de livres payées 14,700,000 dollars, alors que l’époque correspondante de 1888 n’avait accusé que 74 millions de livres d’une valeur ensemble de 9,900,000 dollars.

Grâce au nouveau tarif qui surélevait bien vite les prétentions du manufacturier américain, le fermier allait s’appauvrir doublement : déjà il vendait moins cher ses produits ; il allait encore payer plus cher les objets de première nécessité. L’industriel des villes s’enrichissait aux dépens des populations rurales ; en même temps, il redoublait d’énergie contre la concurrence de ses rivaux d’Europe et non sans succès. Resté jusqu’ici leur inférieur dans la fabrication des draps Casimir, devenu presque leur égal dans celle des tapis à bon marché, il est déjà très résistant sur le terrain de la bonneterie. Les métiers à carder, dont on ne comptait que 7,749 en 1888, se chiffrent aujourd’hui par 7,915. Dix-huit des états ont concouru à cette progression des métiers, outillés d’après les derniers perfectionnemens. Bien des manufacturiers, qui s’étaient vus à la veille de déposer leur bilan, sont rentrés en lice et ont repris la lutte. À cette heure, l’industriel tient le haut du pavé et se considère comme le grand maître électoral. Reste à savoir si le nouveau tarif douanier, rapporté par le député Mac-Kinley, ne modifiera pas sensiblement les conditions de cette lutte, tant entre l’industrie nationale et celle de l’étranger, qu’entre le producteur et le fabricant américains.

La prohibition actuelle sur les tissus-laine extérieurs varie entre 65 et 70 pour 100 ad valorem, suivant les espèces et les qualités : sur les laines brutes, déchets ring waste ou corons, elle varie entre 22 et 30 pour 100. En tout état de cause, vu les doléances croissantes de la campagne qui a pris une attitude offensive en vue des