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s’oppose aux types les plus abhorrés de la bureaucratie. C’est, d’une part, la centralisation administrative issue de la révolution française, ce système préfectoral, Prœfekten-system, sous le nom duquel les Allemands confondent trop aisément l’organisation impériale et la forme actuelle de l’administration française. C’est, d’autre part, cette forme non moins haïe de la bureaucratie, cette bureaucratie prussienne d’ancien régime dont la complication était le moindre défaut, mais dont l’intervention constante, dans tous les domaines de l’activité et de la vie humaines, en enchaînant jusqu’au dernier degré la liberté individuelle, interdisait au paysan de quitter le coin de terre où il était né, à l’industriel d’exercer son industrie hors de l’enceinte des villes, à l’artisan de sortir de la cité, au bourgeois de ville d’acquérir la terre, au noble de vendre ses biens, au paysan de se faire artisan, et qui réalisait ainsi le type achevé d’un socialisme d’État maintenant avec rigueur les classifications de la féodalité.

Aux yeux de Stein, rien n’est plus fâcheux que de confier l’administration provinciale à des fonctionnaires soldés étrangers au pays qu’ils administrent. Dans ces collèges provinciaux, dans ces sortes de commissions qui administrent les provinces prussiennes, et qu’on appelle les chambres provinciales, il voudrait faire pénétrer des représentans des intérêts locaux. Ce ne serait point seulement des membres de l’aristocratie. « Au lieu et place de la bureaucratie, dit-il, il ne faut point installer la domination d’un petit nombre de propriétaires fonciers. Ce serait construire sur des bases trop étroites. » Il veut admettre les députés des communautés civiles et urbaines, des propriétaires de tout ordre, « pourvu qu’ils touchent un revenu important affranchi de toute dette. » Ses idées le rapprochent plus du régime censitaire que du régime féodal. L’esprit conservateur de l’ancien chevalier d’empire se traduit par rattachement aux élémens traditionnels, le désir de les développer progressivement au lieu de les détruire, plutôt que par des tendances aristocratiques.

Quant à la réforme sociale, elle ne tient dans le mémoire de Nassau qu’une place très restreinte. C’est seulement à propos des provinces polonaises, de leur état de civilisation inférieure, qu’il propose en quelque sorte incidemment d’y assurer aux paysans la liberté individuelle, et la propriété de leurs tenures, tout en maintenant et en déterminant leurs charges et leurs redevances. Stein n’était sans doute ni hostile, ni même étranger aux idées de réforme sociale. Il en avait donné par les actes mêmes de son administration antérieure plus d’une preuve palpable. Elles n’étaient point pour lui la base et le fond même de la réorganisation de l’État prussien.