féodalité à laquelle il s’était superposé, et, le gouvernement le plus personnel développant tous ses moyens d’action pour assurer la hiérarchie féodale, la Prusse présentait dans son organisation intérieure, au seuil même du XIXe siècle, un assemblage hétéroclite de socialisme d’État et d’inégalités sociales. L’État y apparaissait non comme un agent de fusion préparant, par la force même des choses, l’avènement de l’égalité moderne et de la liberté individuelle, mais comme le gardien vigilant des classifications les plus rigoureuses, préoccupé d’enfermer par une intervention constante l’activité de chacun dans les limites les plus étroites.
Le poids de cette intervention oppressive ne portait pas seulement sur la classe des paysans. Elle se faisait sentir partout. À de rares exceptions près, les bourgeois, qui formaient de par le code une classe à part, ne pouvaient acquérir les biens nobles. En revanche, il existait, dans la Prusse orientale notamment, un certain nombre de propriétés indépendantes des biens nobles et à peu près libres. Il était interdit à la noblesse d’acquérir ces propriétés ; personne ne pouvait en posséder plusieurs. Ainsi le commerce des terres était à peu près impossible, en tout cas singulièrement limité. Le crédit de la classe privilégiée en recevait une grave atteinte.
Ce n’était pas tout. Une barrière infranchissable était élevée entre les habitans des campagnes et les habitans des villes, en dehors desquelles l’exercice de l’industrie n’était point toléré.
La noblesse avait bien obtenu le droit d’établir sur ses terres quelques fabriques privilégiées qui ne payaient point l’accise et qui faisaient par suite à l’industrie des villes une concurrence désastreuse. Mais c’étaient là des exceptions. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’État veilla soigneusement à ce que l’industrie demeurât renfermée dans l’enceinte des villes.
« On ne tolérait au pays plat, dit Philippson en décrivant la situation des petites industries rurales à cette époque, que l’exercice des métiers les plus indispensables : ceux des tailleurs, forgerons, charpentiers, charrons, couvreurs et tisserands. Encore le nombre en était-il limité et ne pouvaient-ils résider que dans les demeures spécialement affectées aux titulaires de ces petits emplois. Si le paysan, ou même si le seigneur voulait remplacer un carreau de vitre, acheter une table ou une armoire, réparer son mur, acheter un tonneau ou un pot pour sa cuisine, se faire faire une paire de souliers, manger un morceau de viande qui n’eût point été abattue dans sa cour, il lui fallait aller à la ville éloignée souvent de plusieurs milles. »
Cette contrainte était tellement insupportable que la règle était partout violée avec la connivence même des seigneurs propriétaires des biens nobles et chargés de la police locale. Un nombre