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souvent indéterminée, les services du tenancier à la culture des parcelles dont le seigneur était seul propriétaire.

Il ne faut point, d’autre part, se représenter les terres qui constituaient à l’intérieur du bien noble le domaine propre du seigneur comme formant une étendue d’un seul tenant. C’était, en dehors des forêts nobles, le cas le moins général. Les parcelles du seigneur étaient éparpillées au milieu de celles des petits tenanciers. C’était en les pénétrant de toutes parts qu’il dominait les tenures rurales. La confusion était généralement telle que chacun des petits cultivateurs avait peine à reconnaître le coin de terre qui lui était attribué. Il n’eût pu le cultiver qu’en traversant les parcelles voisines, en les détériorant, en y détruisant les récoltes. Aussi la culture individuelle y était-elle impossible. Non-seulement l’assolement était déterminé pour l’ensemble du territoire de la communauté rurale, mais la nature, l’époque, l’heure même de chaque travail étaient imposées. Chaque soir, le chef de la petite communauté, le Schulze, qui n’était généralement que l’agent du seigneur, indiquait aux paysans, presque toujours groupés par villages, leur tâche du lendemain. On eût pu les voir partir à la même heure, munis des mêmes instrumens de travail, se répandre sur les parcelles que le seigneur leur avait attribuées et qu’il les laissait cultiver pour leur propre compte. Le tenancier n’avait pour ces travaux ni indépendance ni initiative.

La plupart du temps, le paysan était en outre attaché au domaine par les liens du servage ou de la sujétion héréditaire. Il n’avait alors ni le droit ni la possibilité de quitter la demeure à laquelle sa naissance ou la volonté du seigneur l’avait attaché.

Dès lors, l’aristocratie foncière, à peine limitée dans ses goûts d’oppression, dans ses besoins d’exploitation ou dans ses fantaisies d’arbitraire par le contrôle de l’autorité monarchique, ne l’était point davantage par la faculté laissée à l’homme de fuir les maux dont il souffrait. Le paysan était rivé au sol. C’était la sanction de toutes ses misères. Le serf ne pouvait échapper par l’émigration ou par la fuite à la condition qui lui était faite. La révolte ouverte eût été sa seule ressource. Il en avait usé au XVIe siècle, du moins dans toute la région occidentale de l’Allemagne ; il avait été brisé ; il végétait dans l’oppression.

Un quart du sol environ était cultivé par la noblesse en faire-valoir direct ou par voie d’affermage. Un dixième de la superficie, y compris les forêts domaniales, était cultivé de même par l’État. Le reste, c’est-à-dire les deux tiers environ du territoire, se composait de petites tenures rurales dépendant des biens nobles ou du domaine.

La précarité des droits du tenancier n’était qu’une part de sa