Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son terme, une autre idée apparaît, différente de la première, une idée qui a mûri silencieusement, mais avec une singulière rapidité, au contact des forces nouvelles qui viennent d’anéantir la Prusse. C’est que les causes de sa ruine ont été dans ses vices d’organisation intérieure.

La première pensée des gouvernemens de la vieille Europe, en face de la Révolution, avait été de chercher le salut dans une politique de réaction, dans l’arsenal d’ancien régime, dans l’organisation traditionnelle. Ils durent reconnaître que c’était seulement par ses propres armes qu’ils pourraient vaincre la Révolution, que la participation active et morale des peuples à l’œuvre de défense pourrait seule réprimer l’élan invincible du peuple français. Aucun n’a compris cette vérité plus vite et plus clairement que l’Etat prussien. Cette monarchie, à laquelle sa situation sans cesse menacée interdisait l’inertie complaisante et routinière des mécanismes d’ancien régime, était aussi, par son origine encore récente et sa situation de « parvenue, » plus alerte aux transformations nécessaires.

On verra avec quelle netteté ces idées étaient apparues dès lors à Hardenberg. Il les avait conçues avec la singulière ouverture de son esprit. Il est plus frappant de voir un homme comme Frédéric-Guillaume III demander au ministre dont il est contraint de se séparer, lui demander, avant même la signature du traité de Tilsit, un mémoire sur la reconstruction de l’État prussien.

Hardenberg se retirait donc pour méditer sur un programme de réorganisation politique et sociale que le roi, avec quelque naïveté, lui réclama dès le lendemain, mais qu’il demanda à préparer avec plus de loisir. Stein était fort éloigné. Il s’était retiré, en janvier, dans un état d’irritation aiguë, assez détaché de la Prusse. C’était à peine s’il s’était arrêté devant la publication de sa correspondance avec Frédéric-Guillaume III. Elle eût fourni, disait-il, un document intéressant pour l’histoire de la dissolution de l’État prussien et de l’organisation vicieuse de son gouvernement. Il avait vu Clarke lors de son passage à Berlin et lui avait livré, avec un singulier abandon, sur les crises du gouvernement prussien et sur la démoralisation des ennemis de la France, des renseignemens que le gouverneur français de la Marche électorale s’était hâté de transmettre à l’empereur[1]. Il s’était enfin rendu dans son domaine des bords de la Lahn, près de Nassau, où il avait rédigé, en juin 1807, un long mémoire exposant ses vues sur la réorganisation administrative de l’Etat prussien. Les lettres

  1. Lettre inédite de Clarke à l’empereur, en date du 4 mars 1807. (Archives historiques du ministère de la guerre. — Correspondance de la Grande Armée.)