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premier ministre serait là. Le 6 juillet, Hardenberg se résolut au départ. Il vit une dernière fois le roi, et là, investi encore de toute sa confiance, il arrêta, de concert avec lui, et réussit à lui faire adopter les résolutions qui réglaient l’avenir immédiat et qui allaient préparer l’avenir lointain de la Prusse. Comme Napoléon, mais avec plus de clairvoyance, il conseilla à Frédéric-Guillaume de rappeler Stein pour lui confier la direction des affaires.

Dès que la retraite de Hardenberg avait été connue, Stein était apparu à tous les patriotes prussiens comme le seul homme qui fût en état, par ses défauts comme par ses qualités, par la rudesse même de son caractère, de faire face à la situation. Il avait été, avant Iéna, et avec, Hardenberg, l’un des ministres de Frédéric-Guillaume III et l’un des fondateurs du parti national. Il recevait de toutes parts, de la princesse Louise Radziwill, sœur du malheureux prince Louis-Ferdinand, de Finkenstein, l’ambassadeur prussien à Vienne, de Niehuhr, de bien d’autres encore, des lettres pressantes. On y sent percer l’anxiété d’une transformation nécessaire, la certitude que Stein seul a pour l’accomplir l’énergie indispensable, la conviction que l’avenir même de la Prusse dépend de sa décision. Il était à craindre qu’il ne refusât. Le roi s’était séparé de lui brutalement en janvier 1807, et ces souvenirs étaient restés gravés dans un esprit qui n’était ni exempt de quelque aigreur, ni facile à l’oubli. Pour Frédéric-Guillaume lui-même, le rappel de Stein était un cruel sacrifice d’amour-propre. Six mois à peine s’étaient écoulés depuis qu’il avait congédié celui qu’il considérait comme un ministre rebelle, en termes presque insultans, à la suite d’un conflit qui avait laissé dans l’esprit étroit et concentré du monarque ample matière à griefs et à rancune. Mais Frédéric-Guillaume, qu’on représentait alors comme un modèle de résignation, était aussi une volonté désemparée, plus que jamais incapable de faire prévaloir ses tendances dans le domaine des faits. Devant le sentiment général, la nécessité impérieuse, les instances de Hardenberg, il se résigna, sans trop de difficultés, au rappel de Stein. Hardenberg put, dès le 10 juillet, écrire au nom du roi à son successeur désigné.

La dernière entrevue de Frédéric-Guillaume III et de son premier ministre aboutit à une autre conclusion qui jette un jour très vif sur la situation politique de la Prusse. Le roi demanda à Hardenberg de préparer et de lui adresser un exposé complot de ses vues sur la reconstruction de l’État prussien. Que de chemin parcouru depuis le moment où Frédéric-Guillaume s’était engagé avec tant de peine dans la politique dont Hardenberg était le représentant le plus marquant ! Au début, cette politique avait été dominée par l’idée de la résistance nationale. Alors que la crise touche à