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NI DIEU NI MAITRE. 823 ADRIENNE. Et c’est pour cela que vous vous êtes lait médecin ? VALMEYR. Mon Dieu, oui... En lui-même, le métier me dégoûte... 11 est éreintant d’abord, demandez plutôt à votre père! Mais je le trouve charmant, tout de même, parce que, je vous le répète, il est sûr, absolument sûr, quand on sait s’y prendre. Et vous ne doutez pas, je suppose... ADRIENNE, riant. Oh ! non, je ne doute pas... Croyez-le bien... THÉRÈSE, s’approchant. Peut-on savoir, monsieur Valnieyr, ce que vous racontez de si amusant à ma fille ? (ils remontent tous les trois vers le fond du théâtre, tandis que Pierre et Meynard viennent sur le devant de la scène.) JIEYNARD. Tu diras tout ce que tu voudras : tu devrais te ménager. Tu te surmènes, tu travailles comme un manœuvre. On s’use avant l’âge, à ce métier. Prends garde, Pierre, ça te jouera un mauvais tour. PIERRE. Allons donc, allons donc ! Regarde-moi : je te présente un homme qui s’est levé à quatre heures, ce matin, pour préparer son cours. J’ai été à l’hôpital, j’ai fait mes visites, j’ai eu ma consultation, je suis allé à ce banquet... Pas plus fatigué que si je sortais de mon lit, et prêt à recommencer demain si l’on veut, mon cher ! Non, va, quand papa Nogaret m’a bâti, il a bien fait les choses, le brave homme ! Il m’a donné un corps robuste de paysan, qui ne craint ni le froid, ni le chaud, ni la fatigue, ni l’insomnie. J’ai quarante- huit ans; c’est encore au moins une vingtaine d’années de belle vie qu’il me reste pour le travail, pour le succès, pour la fortune... Après, au trou la carcasse ! plus rien ! le bon grand néant dans lequel je me dissoudrai tranquillement, rendant à la matière im- mortelle et féconde, pour qu’elle les applique à d’autres combinai- sons, les élémens dissociés de mon être, formé par elle et repris par elle tout entier. THÉRÈSE qui s’est approchée et a entendu les derniers mots de son mari. Oh! Pierre, Pierre... c’est afïreux, ce que tu dis là... Tais-toi, je t’en supplie.