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NI DIEU NI MAITRE. 819 son village!.. Je lui parlais tout bas, au pauvre vieux qui n’est plus, je lui disais : « Ces honneurs, ces toasts, tiens, prends tout cela, c’est pour toi, papa! » J’aurais donné dix ans de ma vie, pour lui rendre dix minutes de la sienne, et qu’il le vît, à ce moment-là, son fieu!.. C’est que vous ne savez pas, mes amis, le brave homme que c’était!.. Il n’aimait pas les curés, par exemple, pas plus que je ne les aime, ni les nobles... Entendez-vous, Favreuil!.. FAVREUIL, qui cause avec Valmeyr. Oui... oui,., allez toujours, ne vous gênez pas! NOGARET. ... Il avait contre eux une vieille rancune tenace, la haine capi- talisée des quinze ou vingt générations de serfs attachés à la glèbe, qui sont mes aïeux, à moi !.. Il disait souvent : « Ni Dieu, ni maître ! » C’était sa devise, au bonhomme! Et je l’ai reprise, moi, je la trouve belle!.. Ni Dieu, ni maître!.. Vous ne pouvez pas comprendre ça, vous autres : ni toi, Thérèse, qui es une béguine, ni vous, mon- sieur le baron de Favreuil, qui regrettez le temps où mes ancêtres à moi étaient taillables et corvéables à la merci des vôtres... MADEMOISELLE JAUZOX. Bravo ! docteur. THÉRÈSE, sévèrement. Nous ne sommes pas au théâtre, mademoiselle ! PIERRE. ... Ni toi, Meynard,qui mériteras bientôt déporter une soutane... Mais moi, je l’aime, je la comprends, la devise de mon vieux Jac- ques Bonhomme de père, et toutes les fois que je la redis après lui, il me semble que c’est toutes les humiliations, toutes les souf- frances huit ou dix fois séculaires des Nogaret dont je sors, qui s’exhalent par ma bouche avec ces mots-là, comme en un cri de délivrance, (a Meynard.) Oui, oui... Tu as beau hausser les épaules, Meynard!.. Et c’est pour cela que je n’ai pas plus fait baptiser mes enlans, que papa Nogaret ne m’a fait baptiser moi-même... MEYNARD. Ne t’en vante pas, mon cher! Ça n’est pas ce que tu as fait de mieux dans ta vie. THÉRÈSE. Meynard a raison, mon ami.