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commerce et les camionneurs. Un arrangement honorable pour les deux parties avait mis fin à un état de choses désastreux. Du reste, peu à, peu, l’accord s’établit sur les points secondaires ; les patrons cèdent en ce qui touche les salaires ; de leur côté, les hommes abandonnent définitivement la prétention qu’ils avaient émise au début d’écarter les appareils à vapeur, mais l’union ouvrière insiste surtout pour que les armateurs, chargeurs et négocians n’emploient désormais que des ouvriers appartenant à la corporation. Les patrons répondent que de semblables conditions sont purement oppressives et qu’au surplus cette interdiction, s’ils se la laissaient imposer, amènerait promptement la ruine de certaines spécialités commerciales. A leur avis, le conflit est de ceux auxquels un arbitrage loyal peut mettre un terme. Mais les grévistes refusent de s’y soumettre. En vain, le premier magistrat de Liverpool représente-t-il à leurs délégués l’intérêt urgent qu’ils ont à cesser une lutte plus funeste encore aux ouvriers qu’aux patrons. Les grévistes refusent de suivre le maire sur le terrain de la conciliation. Ils déclarent que les conséquences du conflit retomberont tout entières sur les négocians et que le travail ne reprendra que le jour où les « hommes importés » retourneront chez eux pour céder la place aux membres de l’union ouvrière.

Huit jours se passent. Les opérations maritimes souffrent de plus en plus de la prolongation de la grève. Toutefois, à l’exception d’un steamer de l’Inman line dont le départ pour New-York est retardé de trois jours, les paquebots-poste des grandes compagnies réussissent à quitter le port à des heures presque régulières, l’effort des travailleurs auxiliaires ayant été dirigé du côté de ce service important. Pour les cargo-boats qui font le commerce de l’Atlantique, ils attendent dans les docks du Nord, et le délai apporté à l’expédition de ces navires cause aux chargeurs et aux armateurs des pertes énormes. D’autre part, l’autorité se préoccupe de la durée du mouvement. Bien que les hommes continuent d’observer une attitude calme, on redoute que la misère ne les pousse à des extrémités regrettables. Par ordre de la police, les public houses sont fermés le samedi à cinq heures. Silencieusement et comme à regret, on fait occuper la ligne des quais par cinq cents soldats d’infanterie.

Ces précautions devaient rester inutiles. Déjà, le ferme bon sens des ouvriers anglais les mettait en garde contre les périls de leur situation. Ils n’avaient pas vu, sans inquiétude, un flot de travailleurs étrangers à la ville prendre leur place et se mettre à l’ouvrage délaissé par eux. Ils comprenaient que, si l’état de choses se prolongeait, l’inexpérience de leurs concurrens diminuant de jour