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tout à fait inadmissibles. Les ouvriers émettaient la prétention de retarder, en quelque sorte, l’horloge du siècle et d’écarter, au profit du travail manuel, l’intervention puissante du travail mécanique. Depuis quelques années, l’importation des céréales s’est considérablement développée à Liverpool ; elle atteint, bon an mal an, 24 millions de boisseaux anglais. Chaque semaine, des bâtimens à voiles et à vapeur jettent sur les quais de la Mersey des cargaisons énormes de grains en provenance des ports du continent, mais surtout de l’Amérique et de l’Inde. L’importance de ce commerce, l’intérêt qu’ont les négocians à servir aussi rapidement que possible leur clientèle, ont amené, dans les procédés de déchargement, des modifications radicales. Au travail manuel qui devenait manifestement insuffisant, on a substitué, peu à peu, les appareils à vapeur. La compagnie des docks a fait édifier de vastes hangars destinés à l’emmagasinage du grain et a mis en pratique, pour la manipulation, les moyens les plus modernes et les plus scientifiques, ceux qu’on emploie dans la plupart des ports à blé d’Amérique. C’est ainsi qu’on a adopté l’usage d’élévateurs à vapeur, servant à la mise à quai des céréales. L’apparition de ce procédé mécanique n’a pas manqué, — cela est de toute évidence, — de porter un coup sensible aux hommes dont c’était la tâche d’amener la marchandise à terre. Mais il n’est pas moins incontestable que les opérations générales du port ont bénéficié de cette amélioration et qu’il en est résulté, pour les ouvriers aussi bien que pour les patrons, un accroissement de prospérité. On en trouverait la preuve dans ce fait qu’avant la grève les salaires s’étaient élevés à un chiffre jusqu’alors inconnu.

L’Union des travailleurs, qui a fomenté et encouragé le mouvement, était donc extrêmement malavisée quand elle demandait, au début, que les cargaisons de grains fussent désormais débarquées sans le secours des machines. Cette prétention ayant été sommairement écartée, la grève a aussitôt éclaté ; mais les meneurs ont vite compris que le terrain sur lequel ils s’étaient placés leur aliénerait toutes les sympathies, même celles des hommes politiques les plus favorables aux classes ouvrières. On s’est alors rabattu sur la question des salaires ; on a demandé de l’augmentation. L’association des patrons, sollicitée de toutes parts, a consenti à payer 5 schellings par jour pour le travail ordinaire du quai ; 6 pour la journée sur le pont, et 7 aux hommes employés à la manœuvre fatigante des élévateurs. Pour le travail de nuit (de sept heures du soir à cinq heures du matin) on accordait à chacune des catégories ci-dessus spécifiées, respectivement 8, 10 et 12 schellings.

Ces propositions ont été déclinées ; elles constituaient cependant