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l’éducation classique dans tous les pays et joue ainsi le rôle de trait d’union international.

Il faudrait faire comprendre aux élèves cette valeur historique et cette nécessité pratique des études latines auxquelles on les oblige. S’ils la comprenaient, ils la feraient comprendre aux autres à leur tour. Pourquoi, en Allemagne, l’enseignement classique est-il si florissant ? C’est que l’opinion de la classe éclairée lui est favorable, c’est que les universités ferment impitoyablement leurs portes à ceux qui n’ont pas reçu une bonne éducation latine, c’est que les jeunes gens eux-mêmes se rendent compte des raisons pour lesquelles ils étudient l’antiquité. — En France, où l’opinion est plus divisée que partout ailleurs, parce que notre mobilité politique tend à passer dans l’ordre de l’éducation, — on ne montre point à nos enfans le but des études anciennes : la jeunesse la plus « raisonneuse » du monde est précisément celle à qui on ne donne aucune raison de ce qu’on exige d’elle. Où est le maître qui, en faisant apprendre le latin, s’élève à quelques considérations générales sur notre lien étroit avec l’antiquité, sur le caractère éminemment national et même patriotique des études classiques, sur la nécessité de ne pas rester au-dessous des nations étrangères, de maintenir dans le monde notre renom de peuple lettré et artiste ? Croit-on que nos jeunes gens continueraient à considérer le latin comme une incompréhensible corvée, si on leur montrait les avantages de cette étude au point de vue non-seulement de leur progrès intellectuel, mais des grands intérêts littéraires, esthétiques et scientifiques de la France ? Quand on a voulu, récemment, remettre les exercices physiques en honneur, on a fait appel aux sentimens patriotiques : aussitôt notre jeunesse a prêté l’oreille ; puis, comme on le lui demandait, elle s’est mise à jouer avec ardeur. Parlez-lui de la patrie pour lui inspirer l’ardeur au travail, elle travaillera. Mais non, l’enfant qui entre au lycée ne sait pas pourquoi il y entre, sinon qu’on a imaginé d’exiger le baccalauréat pour telles et telles professions. On lui met entre les mains une grammaire latine, pourquoi ? On lui fait faire un thème, pourquoi ? On lui fait faire des compositions latines, pourquoi ? On lui fait apprendre le grec, pourquoi ? Il apprend même une langue vivante sans savoir, le plus souvent, pour quelle raison il a choisi celle-là plutôt qu’une autre. Beaucoup d’enfans choisissent l’anglais parce qu’on leur a dit que la langue est plus facile. On ne les éclaire pas, on n’éclaire pas leurs parens au moment de choisir. Tout est livré au hasard ou à la routine : on fait cela parce que les autres le font. Comme disait ce grand mathématicien à propos des méthodes algébriques : « Allez toujours, la foi vous viendra. » Le professeur