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que, pour un certain nombre déjeunes gens, on sacrifie le grec en se voilant la face, si l’on veut, comme Agamemnon immolant Iphigénie. Quand on est soi-même quelque peu helléniste, on ne saurait se dissimuler que le grec, après tout, est une spécialité, et une spécialité difficile. Mais ce qui doit subsister dans toute éducation secondaire et classique, c’est le latin, avec lequel nous avons des liens impossibles à rompre et qui de plus établit un lien entre toutes les nations. Nous concevons donc que le grec puisse, pour quelques-uns, être remplacé par des études scientifiques ou par des études de langues vivantes. En dispensant des classes de grec les élèves qui ont en vue les carrières scientifiques, on gagnerait en troisième et en seconde cinq heures par semaine, en rhétorique quatre heures. En y joignant les conférences préparatoires aux écoles du gouvernement, on pourrait supprimer toute séparation entre les élèves des lettres et ceux des sciences, non pas seulement jusqu’à la fin de la rhétorique, mais, ce qui est essentiel, jusqu’à la fin de la philosophie. Les notions élémentaires de grec acquises en cinquième et en quatrième seraient suffisantes pour les carrières scientifiques, où on entrerait désormais avec une complète culture française, latine et philosophique.

Ainsi, en vertu du principe de continuité et de gradation, nous maintenons fermement les humanités latines comme élément essentiel des humanités françaises, ou, pour mieux dire, universelles, à l’époque où nous vivons ; en vertu du principe de progrès, qui fait que l’accroissement des connaissances rend les simplifications nécessaires pour l’intensité même de la culture, nous dispensons du grec une partie des élèves, mais nous exigeons d’eux une étude sérieuse du latin, des sciences générales et de la philosophie. Sans rompre la continuité de la chaîne historique, nous lâchons en partie un anneau qui est devenu plus éloigné de nous à mesure que nous avons progressé, tout comme l’hébreu et le sanscrit sont des anneaux aujourd’hui trop lointains. La substance assimilable de la langue et de la littérature grecques ayant passé dans la langue et la littérature latines, dont l’étude est en somme facile, le latin suffit, pour la moyenne des esprits, à maintenir notre filiation et notre contact avec l’antiquité gréco-romaine. Au reste, le sacrifice s’est accompli chez nous par la nécessité même des choses, puisque, pour la plupart des élèves, l’étude du grec est toute nominale. Il vaut mieux que cette étude devienne sérieuse pour les uns et soit abandonnée par les autres au profit des sciences. Mais, encore une fois, ce même raisonnement ne peut être appliqué au latin, puisque, si le grec est pour nous une langue morte, nous avons vu que le latin est encore vivant dans le français, dans la littérature française, dans les traditions et dans l’esprit même de la France ; en outre, il est la base commune de