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de la morale antique. La gradation, en effet, est pour les évolutionistes la loi fondamentale ; si le patriotisme ancien est plus simple, plus étroit que le moderne, c’est donc une raison pour le faire connaître aux jeunes gens avant les formes complexes de notre vie politique. Ils assisteront ainsi à l’évolution historique par laquelle le civisme passe, de la forme violente et fermée des Doriens à la forme plus ouverte et plus douce des Athéniens, de l’attachement exclusif pour la cité chez les Grecs et les premiers Romains à l’élargissement graduel du cosmopolitisme chez César et ses successeurs. Le patriotisme antique a une qualité fondamentale en éducation : c’est son caractère héroïque. On n’espère pas sans doute supprimer l’histoire grecque et romaine ; pourquoi donc se plaindre d’un commerce direct avec les auteurs qui ont immortalisé tant de grandes figures ? Ce commerce direct, dont nous venons de reconnaître la nécessité au point de vue de la littérature et de l’art, a encore l’avantage moral de mieux faire vivre aux enfans eux-mêmes une vie épique et dramatique qui, fût-elle simplement un effet de perspective et de lointain, n’en est pas moins une vie idéale, préparatoire à la vie réelle[1]. Le « gouvernement représentatif » viendra assez tôt à leur connaissance, et on ne peut espérer que des enfans comprennent du premier coup ce qu’il y a de juste et d’élevé dans le sentiment de la liberté contemporaine.

Les modernes ont approfondi certains côtés de l’âme humaine qui étaient restés cachés aux anciens : la charité, la pudeur, le culte chevaleresque de la femme, les formes supérieures de l’amour, la mélancolie, la passion de la grande nature, de l’océan et des montagnes. En général, il y a plus de délicatesse, de complexité, de raffinement dans les sentimens modernes, souvent aussi plus de profondeur ; mais, au point de vue pédagogique, ce sont les qualités simples à la fois et fortes, c’est, encore une fois, l’héroïsme antique qui importe. Les anciens étaient plus près des dieux, a diis recentes, — disons plus près de la nature. Illusion de distance ou

  1. M. Fornelli a raison de répondre aux ennemis de l’antiquité par la simple énumération de ces noms, dont chacun nous rappelle des exemples d’une simplicité si dramatique : Miltiade, Aristide et les autres héros de Marathon, Léonidas aux Thermopyles, Thémistocle et les Athéniens à Salamine, les Athéniens et les Spartiates à Platée, Thrasybule, les Thébains libérateurs de la Cadmée et invincibles sous Pélopidas et Épaminondas ; chez les Romains, le premier Brutus, Horatius Coclès, Mucius Scævola et Clélie, dans la guerre épique contre les Tarquins ; la retraite du peuple sur le mont sacré, les aventures dramatiques de Coriolan, de Fabius, de. Cincinnatus, de Virginia et de Licinius Dentatus, de Papirius, de Camille et de Manlius, de Décius, des Romains aux Fourches Caudines, de Fabricius, de Claudius l’aveugle, de Curius Dentatus, d’Attilius Régulus, les Romains vaincus par Annibal et vainqueurs à leur tour, puis conquérant le monde.