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mais il vous fait réfléchir et trouver. Il n’est plus seulement, si on peut dire, indicatif de tels faits observés ou de telles lois démontrées, il est suggestif : par l’association des idées ou des sentimens, il excite le jeune homme à se souvenir moins qu’à penser. En outre, le livre de sciences est un instrument d’inévitable surmenage, par cela même d’épuisement précoce pour les forces intellectuelles qu’il a la prétention de développer ; le livre de littérature, au contraire, est un délassement dans le travail même, un plaisir dans l’effort ; ce n’est point sans raison que Descartes appelait ce genre de lecture une conversation avec les plus grands esprits des temps passés, et une « conversation étudiée » où, ne nous livrant que le meilleur d’eux-mêmes, ils développent par sympathie ce qu’il y a de meilleur en nous.

Ainsi la théorie de l’évolution, — contrairement à la pensée de ses promoteurs qui en tirent des conséquences inexactes, — aboutit à la prééminence de l’enseignement littéraire sur le scientifique. M. Goering intitule ses gymnases écoles de la vie ; mais le but de l’éducation n’est pas, comme MM. Goering et Spencer semblent le croire, de faire vivre par avance aux enfans la vie même qui les attend plus tard avec toutes ses réalités souvent prosaïques et tristes ; son but est de leur faire vivre une vie plus simple, plus intellectuelle et plus imaginative tout ensemble, plus idéale en un mot et plus jeune, qui sera la préparation de l’autre. Il ne faut pas sans doute qu’il y ait désharmonie entre les études de la jeunesse et la vie réelle de l’âge mûr, mais il faut qu’il y ait vraiment « évolution » de l’une à l’autre, la première étant une lente accumulation de forces intellectuelles et morales, par cela même de forces sociales, la seconde une dépense et une expansion des forces acquises au profit de la société même. Dès lors, l’éducation doit être une culture des facultés humaines les plus essentielles, les plus fondamentales, d’où dépend le développement des autres ; quelles sont-elles, sinon la raison et le bon sens, l’imagination réglée et le goût, les sentimens naturels, simples et grands, l’amour du bien et du beau, le patriotisme, l’admiration et l’enthousiasme, qui sont l’éternelle jeunesse du cœur ? Tout cela, ce n’est pas le « superflu » de la vie, ce n’est pas même « l’utile, » c’est le vrai « nécessaire. » En outre, parmi les qualités que l’on est en droit d’exiger d’un esprit cultivé, il y en a qui s’acquièrent et s’apprennent, tandis que le génie ne s’apprend pas ; il y a des défauts qui s’évitent, et que le génie ne sait pas toujours éviter. Or, tout en favorisant la sélection des génies ou des supériorités, encore faut-il cultiver chez tous les qualités qui s’acquièrent, comme il faut extirper les défauts qui peuvent disparaître. Tels sont donc les caractères essentiels d’une