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selon nous. Quant à Ziller, il avait imaginé son fameux système de la concentration, qui consistait à prendre pour centre d’enseignement, chaque année, une période historique autour de laquelle tout venait se grouper, même l’histoire naturelle, le dessin et la géographie. Par exemple, à la 3e année d’études, c’était l’histoire des patriarches, à la 4e les juges d’Israël, à la 5e les rois d’Israël, à la 6e la vie de Jésus, à la 7e les apôtres, à la 8e la réforme.

Il y a pourtant une profonde vérité dans la loi de parallélisme entre le développement individuel et le développement collectif ; mais il faut, avant tout, appliquer cette loi à la méthode et à l’esprit général de l’enseignement. La méthode doit aller du simple au complexe, du facile au difficile, du concret à l’abstrait ; en outre, elle doit reproduire le caractère d’activité spontanée qu’a offert le développement de l’humanité, si bien que l’enfant trouve le plus possible par lui-même et, en agissant, en pensant, éprouve le plaisir d’agir, de penser. Mais nous ne saurions admettre que l’enfant doive, pour cela, parcourir tous les degrés intermédiaires et historiques que l’humanité elle-même a parcourus. D’ailleurs, il n’est nullement certain que l’état d’esprit d’un enfant civilisé soit identique ou du moins analogue à la phase infantile de l’humanité. En supposant même que cette analogie existât, on se sera demandé avec raison si l’éducation doit prendre pour tâche de seconder les dispositions sauvages ou barbares de l’enfant, si elle ne doit pas plutôt les corriger avec l’aide que lui apportent mille et mille années de civilisation. Enfin, la pédagogie naturaliste ne tient pas compte de deux élémens essentiels qui empêchent la méthode d’éducation d’être identique à la méthode de développement spontané : ce sont la langue et le livre. La langue est un produit de tous les raisonnemens accumulés par les hommes, comme de toutes leurs observations et réflexions. Apprendre à parler, c’est précipiter l’évolution de l’esprit de toute la vitesse acquise par les siècles ; c’est voler avec les ailes conquises par l’intelligence humaine, comme l’oiseau, au sortir du nid, vole du premier coup avec les ailes acquises par sa race ; c’est profiter de toutes les sélections et de toutes les victoires qui ont marqué la lutte séculaire pour la vie. À la parole joignez le livre, qu’on a justement appelé « l’humanité abrégée, » et vous accélérez encore davantage l’évolution de l’esprit individuel. Vous supprimez du coup tous les tâtonnemens, toutes les erreurs, toutes les défaites de la pensée ; vous transportez l’enfant au but sans lui avoir fait parcourir les intermédiaires. De même qu’il n’a eu que la peine de naître pour naître homme et Français, de même il n’a qu’à ouvrir un livre pour sauter les siècles à pieds joints et se