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notre temps à répondre à la fusillade des ennemis. Les grenadiers montèrent les uns sur les autres. Les murs furent escaladés et la ville prise d’assaut. Toutes les maisons et les magasins furent pillés. Nous prîmes quatorze bâtimens chargés de marchandises précieuses provenant de l’Inde et de la Chine. Les autres s’échappèrent à la faveur de la marée qui descendait, et de l’appui de l’escadre anglaise qui tira continuellement sur nous, sans nous incommoder beaucoup. Nous trouvâmes à Suez des magasins immenses remplis de marchandises destinées à l’Europe et à l’Asie, mais comme nous ne disposions d’aucun moyen de transport, tout cela nous devenait inutile. Nous aurions donné volontiers toutes ces richesses pour de l’eau douce dont nous manquions.

Le lendemain, les dragons et les dromadaires retournèrent en Égypte, emportant de quoi nous indemniser de cette expédition. Nous restâmes à Suez pour y tenir garnison. Les Anglais nous jetèrent des bombes, mais elles ne nous firent aucun mal.

Nous vîmes, avec surprise, une escadre anglaise dans la Mer-Rouge ; les livres de géographie du temps affirmaient que cette mer, manquant de profondeur et partout hérissée d’écueils, était inaccessible aux grands navires.

Il y avait quinze jours que nous étions à Suez quand une caravane arriva du Caire. Elle nous apprit que l’insurrection avait fini par être comprimée, non sans peines. Que le général Kléber n’avait pas voulu abuser de sa victoire, qu’il avait accordé à Ibrahim-Bey, à Nassif-Pacha et aux survivans des révoltés une capitulation. Ils avaient eu la vie sauve et avaient pu rejoindre, en Syrie, les débris de l’armée du grand-vizir. La révolte avait duré du 20 mars au 15 avril. La ville du Caire avait été condamnée à payer une contribution extraordinaire de 10 millions de francs. Nous apprîmes encore que toutes les villes du delta étaient rentrées dans une complète soumission ; que Mourad-Bey était devenu notre allié, et qu’il avait chassé les Turcs de la Haute-Égypte ; qu’enfin, l’armée avait repris toutes les positions qu’elle occupait avant la convention d’El-Arisch.

Peu de temps après il nous fut expédié du Caire une autre caravane avec des vivres, des munitions et des canons, pour armer la place de Suez. Cette caravane fut surprise dans le désert par une tempête de sable appelée, en arabe, simoun ou kamsin. Les outres, qui contenaient l’eau, furent desséchées, tous les chevaux ou chameaux périrent, cinq hommes seulement purent arriver à Suez dans un état déplorable, tous les autres étaient morts.

La mise en état de défense de Suez était l’application d’une mesure générale. Le général Kléber l’avait prise et faisait travailler aux forts de Lesbeh, de Damiette, de Burlos, de Rosette. On