Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/741

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de renoncer à la diversion qu’il avait espérée vers Damiette. On jugea notre présence à Katieh désormais inutile et nous reçûmes l’ordre de partir pour aller rejoindre, à Damiette, les deux autres bataillons de la demi-brigade. Nous passâmes à Tineh et à Omla-rège, où nous nous embarquâmes sur le lac Menzaleh. On ne peut se faire une idée du grand nombre de poissons qui se trouvent dans ce lac. A chaque instant, il sautait des dorades dans notre barque. Je vis aussi prendre, dans le lac Menzaleh, des canards sauvages d’une façon singulière. L’hiver approchait, et les canards étaient si nombreux que le lac en semblait couvert.

Un paysan attache sur sa tête une botte de paille, serrée par le haut, cela forme une coiffure conique, comme une sorte de chapeau chinois, qui permet à l’homme de voir un peu à travers les bords. Il prend un sac et s’enfonce dans l’eau jusqu’au cou, auquel il a attaché, avec des ficelles, quelques canards domestiques comme appelans. Les autres viennent sans méfiance nager autour de ceux-ci. Le chasseur, avec le moins possible de mouvemens, les saisit par une patte, les fait plonger et les met dans le sac sans effrayer les autres. Cette facilité de prendre des canards fait qu’à Damiette ils sont très bon marché. On en sale des quantités considérables, que l’on envoie dans toute l’Egypte et que l’on vend à vil prix.

Nous débarquâmes à Damiette, le 14 novembre, nous eûmes quelques hommes atteints de la peste. Il en mourut un certain nombre, entre autres le fourrier de la compagnie, avec lequel, peu de jours auparavant, j’avais partagé ma couverture au bivouac. Dès qu’il fut reconnu atteint de la peste, on me mit en quarantaine de l’autre côté du Nil, dans le Delta. On me logea tout seul dans un santon. Chaque jour, on m’apportait à manger, mais, comme il était rigoureusement défendu de communiquer avec moi, on déposait mes vivres sur le rivage. Le premier jour, j’eus un très violent mal de tête : voilà, me dis-je, les premiers symptômes. Je me tâtais souvent les glandes inguinales, elles devinrent douloureuses. Bon, me dis-je encore, je vais avoir le bubon ; décidément j’ai la peste ! A la nuit, j’entrai dans le santon, pour me mettre à l’abri de la rosée. Je me couchai à terre et je m’endormis profondément jusqu’au jour. Je me réveillai très bien portant ; tous les symptômes qui m’inquiétaient la veille avaient disparu. J’en étais quitte pour la peur.

Le 17 novembre, mon bataillon fut chargé de lever des contributions dans les provinces de Menzaleh et de Mansourah. Cette mission dura un mois, pendant lequel nous fûmes presque constamment embarqués sur le Nil, le lac Menzaleh, ou les canaux.

Nous rentrâmes à Damiette le 15 décembre. A notre arrivée, tout