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Peu de jours après notre départ du Caire, le général en chef le quitta à son tour. C’était, disait-on, pour faire une tournée dans la Basse-Egypte. Il vint, en effet, à Menouf, et passa la 32e en revue.

Il dit aux grenadiers : « Quittez ces figures tristes. Avant peu, nous irons boire du vin en France. »


IV
Départ du général Bonaparte.

J’avais remarqué, pendant la revue, que le général en chef semblait préoccupé, il parlait bas avec Berthier et laissait paraître une certaine inquiétude ; que les aides-de-camp, au contraire, et parmi eux Eugène de Beauharnais, surtout, et Marmont, avaient l’air tout joyeux. Enfin, Berthier lui annonça l’arrivée d’un bateau, qu’il attendait pour franchir la branche occidentale du Nil ; alors il reprit son calme et nous quitta avec sa suite.

Nous apprîmes, quelques jours après, qu’il s’était rendu à Alexandrie et de là à la rade d’Aboukir ; que le 22 août au soir, il s’était embarqué sur la frégate le Muiron (préparée à Alexandrie), avec les généraux Berthier, Lannes, Murât, Marmont, Andréossi, les savans Monge et Berthollet et un détachement de ses guides. Le Muiron était escorté de la frégate le Carrère, des chebeks la Revanche et l’Indépendant. Le contre-amiral Ganteaume avait reçu, depuis quelque temps déjà, l’ordre de tenir ces bâtimens toujours prêts.

Il fallait traverser la Méditerranée et échapper aux croisières anglaises. Le tenter était bien hardi, mais on ne pouvait douter que l’expédition d’Egypte aurait une issue fatale. Lui aussi devait donc ou passer ou périr ; et, en quittant son armée le lendemain d’Aboukir, il pouvait dire au gouvernement et à la France qu’il l’avait laissée triomphante.

Un ordre du jour nous apprit que le général Bonaparte avait désigné, pour son successeur, le général Kléber.

On sut plus tard qu’à la suite de la bataille d’Aboukir, Bonaparte avait envoyé à la flotte anglaise un parlementaire sous prétexte de proposer un échange de prisonniers, mais, en réalité, pour essayer d’avoir des nouvelles et de connaître ce qui s’était passé en Europe depuis un an. Sydney-Smith, voyant que, tous, nous l’ignorions absolument, remit à l’officier qu’il avait reçu un paquet de journaux. Celui-ci les apporta au général en chef. Bonaparte avait passé une nuit à les lire. Il prit aussitôt le parti de revenir en France,