La nuit mit fin au combat.
Presque toutes les batailles se ressemblent ; celle d’Aboukir, par la situation qui nous était faite et la disproportion des forces qui y combattirent, ne ressemble à aucune.
Les soldats que nous avions eu à combattre n’étaient pas de ces misérables fellahs qui composaient l’infanterie des mamelucks dans nos batailles précédentes ; c’étaient de braves janissaires, portant un fusil sans baïonnette, le rejetant en bandoulière sur le dos, après s’en être servis, puis s’élançant sur l’ennemi le pistolet et le sabre à la main. Ils avaient une artillerie nombreuse et bien servie et plus encore, le concours de l’artillerie de gros calibre des deux flottes anglaise et turque.
Cependant dans ce combat, 6,000 Français détruisirent 13,000 ou 14,000 Turcs. Je n’avais jamais vu un aussi petit nombre d’hommes en tuer un si grand.
De toutes les batailles qu’a livrées Bonaparte, y compris Rivoli et Castiglione, en Italie, celle d’Aboukir est la plus glorieuse pour lui et pour la nation. Là il fut réellement général en chef. Il développa tous ses talens, montra du courage personnel, en chargeant à la tête du 14e dragons, et sut profiter des fautes de ses adversaires avec le plus heureux à-propos.
Au moment où le combat allait s’engager, Berthier, son chef d’état-major, lui dit, devant nous :
« Mon général, quelle est la troupe que vous désignez pour la réserve ? »
Bonaparte répondit à voix haute :
« Une réserve ! me prenez-vous pour le général Moreau ? »
Et, en effet, à quoi bon une réserve pour une troupe qui, jusqu’au dernier homme, doit vaincre ou mourir ?
Le combat avait été rude. Nous avions 1,300 ou 1,400 hommes hors de combat. La plus grande partie des blessés étaient gravement atteints ; beaucoup étaient estropiés par le feu prodigieux de l’artillerie de l’escadre.
Mais tout n’était pas fini.
Les débris de l’armée ennemie étaient resserrés dans le fort et la moitié du village d’Aboukir. Nous en occupions l’autre moitié. Le soir, nous fûmes relevés par d’autres troupes. Nous fûmes coucher sous les tentes turques, derrière la grande redoute.
La journée du 26 fut tranquille, on se reposait des deux côtés.
Le 27, nous étions de tranchée, car il s’agissait d’un véritable siège. Nous travaillâmes la nuit à nous organiser défensivement et à nous couvrir par des retranchemens et des traverses, dans les rues où se trouvaient nos postes avancés.
La compagnie de grenadiers formait la tête des avant-postes de