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sur lui, mais je voulais ménager mon coup de fusil, pour un danger plus grand. Je baissai ma baïonnette. Le Turc leva le bras pour me donner un coup de sabre sur la tête, je saisis ce moment pour le frapper ; mais avec la main gauche il para mon coup. Heureusement, je m’étais ménagé. Je doublai rapidement, la main du Turc avait continué son mouvement, je me précipitai sur lui en lui enfonçant ma baïonnette dans la poitrine. Il tomba à la renverse. Je lui mis un genou sur l’estomac et lui ôtai son sabre, il me l’abandonna et saisit, à sa ceinture, un poignard que je n’avais pas aperçu. Me relevant alors brusquement, je lui donnai avec son propre sabre un coup en travers du corps qui le coupa presque en deux. C’était une excellente lame, qui m’aurait certainement fendu la tête, si ce Turc avait paré mon deuxième mouvement.

Ce succès m’avait enhardi. J’aperçus un escalier, je m’y précipitai à la tête des grenadiers et le gravis à la course. Comme j’arrivais à la plus haute marche, ma baïonnette baissée en avant, un nègre qui était caché la saisit. Je ne pouvais être secouru par les grenadiers ; l’escalier était si étroit que l’on ne pouvait le monter que un à un. Je fus contraint de tourner mon fusil de biais, en cédant au mouvement de celui qui tenait la baïonnette, puis avec l’index de la main droite, je pressai la détente et lâchai le coup dans le corps du nègre, qui tomba raide mort. D’autres Turcs, qui étaient embusqués, saisirent ce moment pour fondre sur moi, le pistolet à la main. J’étais désarmé, les grenadiers placés derrière moi me crurent mort et firent un mouvement rétrograde. Le brave Désert, fourrier de la compagnie, les arrêta. Ma mort me paraissait certaine ; j’avais plusieurs pistolets sur la poitrine, quand un des Turcs me dit en arabe que, si je voulais les protéger, ils se rendraient. Je ne demandais pas mieux. Je leur dis de poser les armes, et qu’il ne leur serait fait aucun mal. Ils le firent aussitôt. Mais, dans ce moment, des coups de fusil partirent d’une maison voisine, et un grenadier fut tué sur l’escalier où nous étions. Ses camarades furieux se précipitent et m’entraînent dans l’intérieur des chambres, tuant tous ceux qu’ils y rencontrent. Je criais, en vain, qu’ils s’étaient rendus, on ne m’écoutait pas. J’entrai dans une grande chambre où était le pacha. Des janissaires, sans arme, l’entouraient et paraient, avec leurs bras nus, les coups de sabre et de baïonnette qu’on lui portait. J’en vis qui, ayant un bras coupé, tendaient l’autre pour garantir leur général. Quel exemple d’attachement ! Je cherchais aussi de toutes mes forces à protéger le pacha, que je considérais comme mon prisonnier.

Cependant, le capitaine Sudrier, commandant la compagnie, étant arrivé, me vint en aide et nous parvînmes à sauver le pacha,