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France pour lui disputer une position qui aurait été pour elle une conquête et qui est pour nous une position de défense nécessaire à notre empire algérien. C’est d’elle-même, par une imprévoyance d’ambition ou par des surexcitations factices d’opinion, qu’elle s’est créé un sujet permanent d’hostilité à l’égard de la France. C’est pour cela, ses polémistes le disent du moins, qu’elle s’est jetée dans la triple alliance, — dans cette alliance qui lui profite si bien que l’Autriche, tout alliée qu’elle soit, n’a pas hésité dernièrement à dissoudre une société italienne formée à Trieste. Au lieu de rêver des aventures ou de réveiller des passions qui ne sont même pas partagées par la masse du pays, les politiques de Rome feraient bien mieux de laisser dormir cette question de Tunis, de ne pas en faire un objet perpétuel de division entre deux nations que leurs intérêts devraient un jour ou l’autre rapprocher.

Plus que jamais aujourd’hui, ce sont les intérêts, les questions de commerce et d’industrie qui unissent ou divisent les peuples, qui décident de leurs relations et de leur politique, dans le Nouveau-Monde comme dans l’ancien. Et ces intérêts, plus puissans que les idées, sont en vérité tyranniques : ils dominent les gouvernemens et les parlemens, ils font de la vie contemporaine un grand marché ouvert à toutes les spéculations, aux concurrences effrénées, aux guerres commerciales déguisées sous le nom de protection, aux batailles de tarifs, avec l’artillerie des lois douanières.

Les États-Unis n’ont pas été les derniers à s’engager dans cette voie ; ils y sont entrés avec l’imperturbable audace d’une nation positive, âpre au travail et au gain, fort peu sensible aux théories, aux idéalités humanitaires et libérales. Depuis la guerre de la sécession, qui a été, à dire vrai, le point de départ de leur politique nouvelle, ils se sont hérissés de tarifs démesurés, d’exclusions, de prohibitions, parce qu’ils y ont vu leur intérêt du moment. Ils y ont, en effet, trouvé d’abord un double avantage ; ils ont favorisé, par la protection, un immense développement de travail national et d’industrie sur le sol américain ; ils ont, de plus, obtenu par les douanes l’argent dont ils avaient besoin pour payer ce que leur avait coûté leur guerre civile, pour éteindre en grande partie une dette colossale. Les États-Unis ont sans doute fait, d’une certaine manière, une habile opération ; ils se flattent encore aujourd’hui de la continuer. Il n’y a qu’un malheur, c’est que, de l’excès même de la protection sont nés pour les Américains des dangers d’une autre nature, devant lesquels on se débat sans avoir trouvé jusqu’ici le moyen de s’en préserver. Les États-Unis souffrent d’une exagération de production qui a créé une véritable crise dans toutes les conditions du travail et de l’industrie. D’un autre côté, les excédens de recettes, après avoir servi longtemps à amortir la dette, ont fini par devenir un embarras de trésorerie, embarras tel qu’on ne