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Belgrade de ses fantaisies, les affaires de la Serbie redeviennent assez obscures. On ne sait plus si ce roi remuant et encombrant médite quelque coup d’état, dont on le croit capable, ou s’il est tout simplement occupé du dernier acte de son divorce avec la reine Nathalie pour passer à un second mariage. La régence serbe elle-même paraît assez embarrassée ; mais ce n’est pas le roi Milan, dût-il troubler encore une fois la Serbie, qui peut mettre le feu à l’Europe. Quant au prince Ferdinand de Bulgarie ou de Cobourg, qui est allé se reposer à Carlsbad pendant qu’on exécutait le major Panitza à Sofia, il ne semble pas encore bien fixé sur ce qu’il fera : finira-t-il par abdiquer et aller rejoindre le prince Alexandre de Battenberg ? Persistera-t-il à garder une couronne équivoque et toujours contestée ? Il y a eu pendant son séjour en Allemagne un conseil de famille qui se serait, dit-on, prononcé pour l’abdication ; de son côté, M. Stamboulof, qui est jusqu’ici le premier ministre et le maître à Sofia, est opposé à toute idée d’abdication. M. Stamboulof reste persuadé qu’il dispose de la Bulgarie. Il veut garder son prince, il exécute ses adversaires, il négocie à Constantinople pour obtenir la reconnaissance de la révolution bulgare. Au demeurant il n’en est ni plus ni moins. Que le prince Ferdinand abdique ou qu’il rentre à Sofia comme il en est parti il y a quelques jours, ce n’est pas là ce qui peut avoir de l’importance. La question n’est pas dans ce qui se fait à Sofia ou dans les délibérations de la famille de Cobourg ; elle est uniquement aujourd’hui comme hier dans ce qui pourrait être décidé à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Berlin, à Londres, à Paris et à Rome. En d’autres termes, la Bulgarie ne serait un danger dont on pourrait s’émouvoir que le jour où quelques-unes des puissances prendraient ouvertement la résolution de s’affranchir du traité de Berlin, et d’après toutes les apparences on n’en est pas là, pour le moment. Ni l’Autriche, ni l’Angleterre, quelque favorables qu’elles soient au prince Ferdinand, ne risqueront certainement la paix du monde pour lui assurer une couronne. La Russie semble moins que jamais disposée à sortir de la réserve dédaigneuse où elle s’est retranchée jusqu’ici, et si l’empereur d’Allemagne va prochainement, comme on le dit, assister aux manœuvres de l’armée russe, il n’ira sûrement pas avec la pensée d’obtenir du tsar la reconnaissance d’une révolution accomplie contre lui. Et voilà pourquoi le danger bulgare n’a pour le moment rien de bien inquiétant pour l’opinion.

Est-ce du traité anglo-allemand et de ses conséquences que pourrait naître un danger pour la paix de l’Europe ? Est-ce cet acte de diplomatie, révélé, il est vrai, un peu à l’improviste, qui donnerait une apparence de raison aux impressions pessimistes d’une opinion prompte à s’émouvoir ? Sans doute, c’est un l’ait assez étrange que ce partage inattendu et nécessairement un peu arbitraire de territoires inconnus, d’une partie d’un continent entre deux puissances signant une sorte