Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas faire de l’ordre avec du désordre. C’est là malheureusement un danger auquel on n’a pas échappé. Aborder la situation financière tout entière, ouvrir une discussion complète et générale du budget, ce n’était plus possible à l’heure qu’il est, à la veille des vacances. M. le ministre des finances et la commission du budget ont voulu du moins avoir l’air de faire quelque chose, de donner une apparence de satisfaction à l’opinion en faisant de la loi des contributions directes, qu’on ne pouvait se dispenser de voter immédiatement, un préliminaire libéral et flatteur du budget. Ils se sont concertés pour résoudre ensemble un singulier problème : celui de concilier une illusion de dégrèvement et une illusion d’équilibre ! Le secret du projet qu’ils ont présenté est facile à dégager : il consiste à dégrever l’impôt foncier, la propriété non bâtie, d’une quinzaine de millions, en demandant une compensation de 18 millions à la propriété bâtie, aux maisons, de façon à maintenir l’équilibre dans cette partie du budget. En d’autres termes, c’est pour l’état l’art de donner à l’un en prenant à l’autre, et d’avoir toujours la même somme. M. le ministre des finances et la commission du budget ont été évidemment les dupes de leur imagination.

Ce qu’il y avait à faire pour le moment était bien simple. Il n’y avait qu’à imiter les Anglais, qui sont des esprits pratiques dans ces affaires de budget et de finances. On n’avait qu’à commencer par voter la loi des contributions, qui était une nécessité immédiate, en réservant pour une loi spéciale une réforme qui a certainement son importance, qui peut être plausible, à la condition d’être mieux étudiée et mieux combinée. C’est justement ce que M. Léon Say, avec la sagacité de son esprit et son expérience financière, a proposé dès le premier instant en montrant le danger d’aller trop vite, de se lancer dans l’inconnu. C’est ce que M. Henri Germain a demandé avec la vivacité originale de sa parole. C’est ce qu’un ancien ministre des finances, M. Peytral, a réclamé de son côté. On n’a voulu rien entendre ! M. le ministre Rouvier et la commission du budget ont craint de paraître reculer devant leur œuvre, devant une réforme qu’ils croyaient sans doute populaire. Ils ont combattu l’ajournement, qui a été repoussé.

Médiocre victoire ! Ils n’ont pas vu que c’était tout engager et tout compromettre, qu’ils soulevaient les plus grosses et les plus délicates questions d’impôt pour des résultats douteux, que cet équilibre partiel qu’ils se flattaient de maintenir avec leurs combinaisons n’était qu’une fiction. Ils n’ont pas vu surtout qu’ils mettaient tout en branle, qu’ils ouvraient la carrière à toutes les prétentions, à toutes les réclamations, à toutes les fantaisies, à tous les accidens de discussion. Qu’est-il arrivé, en effet ? Oh ! c’est ici qu’on entre dans le plus étrange des imbroglios. À peine la discussion a-t-elle été commencée, les coups de théâtre se sont succédé ; les mécomptes n’ont pas tardé à se produire sous toutes les formes. Chaque jour a eu le sien. Premier mécompte,