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étant déjà assez diffamés pour la facilité de leur naturel à être dupés. » A peine a-t-elle battu Talbot, il ne doute plus ; il veut « qu’en toute chose le conseil de la Pucelle soit recherché principalement, avant tout autre. » Et plus tard le pape Pie II dira : « Elle était inspirée ; l’événement en fait foi : divino afflata spiritu, sicut res gestæ demonstrant. » Elle avait réussi, on se persuada bien vite qu’elle venait de Dieu. Si elle eût échoué, elle se serait perdue dans la foule des enthousiastes, des extatiques qui ont donné leurs rêveries pour inspirations. Mais quand tout le monde désespérait, le roi lui-même, elle avait cru à la France, elle avait eu raison d’y croire, et il est juste que la France s’en souvienne à jamais.

Ce qu’il y eut de miraculeux en elle, ce fut le souverain bon sens, sous un air de folie. Ses ennemis se plaignaient dans leur colère « qu’il y eût dans cette simple une merveilleuse subtilité de femme. » Née sur la Meuse, dans la marche de deux provinces, et tenant sans doute de son père, plus Champenoise que Lorraine, elle eut, selon le mot de Michelet, cette naïveté mêlée de sens et de finesse qu’on trouve dans Joinville. Elle ne savait rien, elle devina tout.

Cette visionnaire eut le génie de la politique. Elle avait compris que dans les suprêmes détresses, les partis les plus audacieux sont les plus sûrs, qu’il fallait frapper un grand coup, que Charles VII devait se montrer à la France anglaise, prendre possession, que sans laisser aux Anglais le temps de se remettre et de sacrer Henri VI, il fallait marcher hardiment d’Orléans à Reims, les gagner de vitesse, « que le premier sacré resterait roi. » Les sages secouaient la tête, criaient à l’impossible ; sa fougue entraîna tout et les chemins s’aplanirent devant elle. Mais pour que le roi voulût la suivre, elle avait dû le tirer de sa mortelle langueur, le rendre à lui-même, et c’est à quoi tout d’abord elle s’était appliquée. Ce fils d’un roi dément et de la perverse Isabeau en était venu à douter et de sa naissance et de son droit ; il s’abandonnait. « Gentil Dauphin, j’ai nom Jehanne la Pucelle. Le roi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné en la ville de Reims. » Et l’instant d’après, lisant dans les profondeurs de cette âme malade, meurtrie par le malheur : « Je te dis de la part de messire que tu es vrai héritier de France et fils du roi. » C’est une des scènes les plus étonnantes de l’histoire que cette plébéienne de dix-huit ans, disant à un roi de France : « Croyez en vous ! » et l’obligeant de croire comme par l’effet d’un charme. C’était là, selon toute apparence, ce secret du roi qu’elle garda religieusement. « Je ne sais sur quoi vous me voulez interroger, disait-elle à Cauchon ; vous pourriez bien me demander telles choses que je ne vous dirais point. » Dans son horrible prison comme devant ses juges, elle parut moins soucieuse de sauver sa vie que de protéger l’honneur de son prince. Pouvait-elle révéler aux Anglais qu’il avait douté de son droit et de lui-même ?