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somme de par le roi des cieux que vous vous en alliez en Angleterre. »

Ses juges tentaient l’impossible en voulant la convaincre d’hérésie. Hérétique, elle ne le fut jamais ; je comprendrais mieux qu’ils l’eussent traitée de païenne. Dans l’antiquité grecque et romaine, le ciel était au service de la terre, les olympiens au service des cités. Le christianisme prêche un Dieu universel, qui ne fait pas acception des peuples et ne s’occupe que des âmes. Qu’est-ce pour lui qu’un empire qui passe au prix d’une âme immortelle ? L’homme du moyen âge vivait dans une société où les privilèges remplaçaient les lois, divisée en classes fermées dont les intérêts étaient toujours en guerre. Cette société n’était pas une patrie, et on lui enseignait que sa vraie patrie était la cité céleste, dont l’église tient les clés et qu’on peut habiter dès cette vie par la foi. Jeanne d’Arc a ressuscité l’idée antique de la patrie. Le Christ était pour elle le patron de la France, dans le même sens où Pallas Athéné fut la patronne d’Athènes. Elle ne s’est pas mise au service de la foi, elle a mis sa foi et sa virginité au service de son pays. L’église rend hommage à ses vertus, et séduite par ce qu’il y eut de surnaturel dans sa grâce, elle ne demanderait pas mieux que de la proclamer sainte. Mais en pareille matière, les décisions sont graves, et elle hésite. — « Était-elle vraiment à toi ? n’était-ce pas une étrangère ? » Voilà peut-être ce que lui dit l’avocat du diable.

Elle n’a pas seulement proposé, conseillé ; elle poussait ses soldats dans les mêlées et elle y entrait elle-même. Cette sainte, qui s’était vêtue en homme, chose que l’église a toujours vue de mauvais œil, apparaît dans l’histoire comme une vierge guerrière, sur son beau cheval noir, portant à son côté une hachette et l’épée de sainte Catherine, et déployant son étendard blanc fleurdelisé, sur lequel était Dieu avec le monde dans ses mains. « Après que nous fûmes descendus à Selles, écrivait Guy de Laval, j’allai à son logis la voir, et fit venir le vin, et me dit qu’elle m’en ferait bientôt boire à Paris, et semble chose toute divine de son fait et de la voir et de l’ouïr… Et la vis monter à cheval armée tout en blanc, sauf la tête, une petite hache en sa main, sur un grand coursier noir… et lors se tourna vers l’huis de l’église et dit en assez voix de femme : « Vous, les prêtres et gens d’église, faites processions et prières à Dieu. » Et lors, se retourna à son chemin en disant : « Tirez avant, tirez avant ! »

Les soudards qui l’accompagnaient ont affirmé qu’elle était fort avisée dans les batailles, qu’elle savait comment on les gagne, qu’elle avait le coup d’œil prompt d’un capitaine. A la vérité, elle pleura quand, pour la première fois, elle vit un champ de carnage, et elle avait dit qu’elle ne tuerait jamais personne. Mais, plus tard, elle vantera la bonne épée qu’elle portait à Compiègne, excellente, disait-elle, pour